C’est entendu, Anastasia, la grande chorégraphie que Kenneth MacMillan créa au Deutsche Oper de Berlin en 1965 – il était en délicatesse avec le Royal Opera Ballet et avait accepté l’invitation de son ami John Cranko – est le chef-d’œuvre de ce chorégraphe majeur, apogée de son style néo-classique qui remettait à l’honneur le genre narratif.
On sait que son style aura fait depuis florès. Reprenant son ballet à Covent Garden en 1971, MacMillan en étendit considérablement les proportions au point que dans cette nouvelle mouture, le spectacle original était tout entier resserré dans le troisième acte qui a d’ailleurs conservé les musiques électroniques composées à l’occasion par le Studio Sonore de l’Université de Berlin-Ouest. Le projet de son grand ballet était enfin achevé. Sa recréation à Covent Garden en novembre 2016 fit justement sensation.
Le sujet, qui plonge le spectateur dans la Russie de Nicolas II, et plus encore son héroïne, Anna Anderson, qui se prétendit être la Grande Duchesse Anastasia ayant survécu à la liquidation des Romanov par les Bolchéviques, assurèrent à l’œuvre dès sa première une réputation sulfureuse qui fascina le public.
Avec le recul du temps, et grâce à cette reprise, on aperçoit enfin la perfection expressive à laquelle était parvenu l’art du chorégraphe, et Deborah MacMillan qui a assuré la renaissance du spectacle souligne à loisir celle-ci par des gestes qui disent tout de l’émotion des personnages, même si elle semble accentuer une certaine forme d’expressionnisme qui n’était peut-être pas si flagrant dans l’original. La captation précise de Ross MacGibbon n’est pas pour peu dans la lisibilité de l’action comme des sentiments qui est flagrante tout au long de ce DVD.
La syntaxe chorégraphique en est admirablement rendue, ponctuée de portés périlleux, le spectacle est toujours aussi palpitant que ce soit à la Cour Impériale ou pour les Tableaux de la Révolution documentés par la projection d’images du film Du Tsar à Staline ; et les danseurs se sentent investis d’une mission supérieure : le Nicolas II de Christopher Saunders est de bout en bout superbe (même si Derek Rencher, qui alternait lors de cette production, était d’une beauté plus troublante), Thiago Soares un inquiétant et impérieux Raspoutine, les Grandes Duchesses toutes exemplaires de caractérisation, mais c’est Natalia Ossipova, venue du Bolchoï pour s’approprier le rôle d’Anastasia qui vous stupéfiera d’abord. Quel personnage !
Dans la fosse, Simon Hewett dirige Martinů aussi bien que Tchaïkovski, racontant par les notes l’histoire fabuleuse et tragique qui se déroule en scène. Et maintenant, espérons que Covent Garden n’attendra pas vingt ans avant de revoir Anastasia qui n’y avait plus reparu depuis 1996.
LE DISQUE DU JOUR
Kenneth MacMillan (1929-1992)
Anastasia, ballet en trois actes sur des musiques de Tchaikovski et Martinů
Natalia Osipova (Anastasia / Anna Anderson)
Marianela Nuñez (Mathilde Kschessinska)
Federico Bonelli
(Le partenaire de Mathilde)
Edward Watson (Le mari)
Thiago Soares (Raspoutine)
Christina Arestis (Tsarine Alexandra Feodorovna)
Christopher Saunders (Tsar Nicolas II)
The Royal Ballet
Orchestre du Royal Opera House
Simon Hewett, direction
Kenneth MacMillan, chorégraphie
Un DVD du label Opus Arte OA1243D
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