Bagatelles testamentaires

Beethoven parvenu au sommet de son art ne quittait plus son piano, creuset de sa grammaire, et y revenait aux deux principes qui la formèrent : l’improvisation et la variation. C’est le sujet, et l’objet, de cette nouvelle incursion qu’Evgeni Koroliov conduit dans les opus de la maturité.

Les deux ultimes cahiers de Bagatelles sont absolument des improvisations, mais Koroliov les joue en les ordonnant, grand piano classique qui fuit absolument les humeurs, la folie, le goût de la provocation qu’y aura débusqués avec une pointe de génie Stephen Kovacevich.

L’improvisation oui, la folie non. Du coup, les Bagatelles prennent une autre dimension, plus réflexives, elles sonnent comme le journal secret qu’un homme de génie écrirait à son clavier et pour son clavier, dialogue de l’intime qui peut aller jusqu’aux tréfonds de l’expérience harmonique (le Moderato cantabile de l’Opus 119).

Pour les Bagatelles, l’optique est révélatrice, elle l’est tout autant dans les Variations Diabelli, dont le thème n’est que le prétexte, vite oublié, à une suite d’humeurs pianistiques qui justement pourraient être autant de Bagatelles. Koroliov les joue ainsi, égrenées en quelque sorte dans un flot de fantaisie souvent interrogatif, ouvrant ce cahier que bien des pianistes enferment dans un souci formel que le Russe n’y voit pas ou plutôt qu’il incarne seulement dans le grand son absolument classique de son splendide Steinway, réglé à la perfection par Gerd Finkenstein. Du coup, ses Diabelli ne ressemblent à aucune des versions récemment enregistrées, elles m’évoquent par leur beauté un rien étrange celles de Schnabel, si peu connues d’ailleurs.

Cet album assez fabuleux s’ouvre par la Grande Fugue comme Beethoven l’a transcrite pour son instrument, œuvre inextinguible où Koroliov retrouve Ljupka Hadzi-Georgieva : lecture aux escarpements dantesques.

Prise de son sublime, comme toujours chez Tacet, l’un des rares éditeurs phonographiques qui sache enregistrer le piano.

LE DISQUE DU JOUR

Ludwig van Beethoven (1770-1827)
11 Bagatelles, Op. 119
6 Bagatelles, Op. 126
Grosse Fugue, Op. 134 (arr. de l’Op. 133 : Beethoven)
Variations Diabelli, Op. 120

Evgeni Koroliov, piano
Ljupka Hadzi-Georgieva, piano

Un album de 2 CD du label Tacet 228
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Photo à la une : © Gert Mothes