Les Goldberg, osées du piano, se suivent et auraient fini par se ressembler si Pietro de Maria ne les avait pas jouées soudain en invitant un orchestre dans ses cordes, si Maria Perrotta ne les avait dorées à l’or fin de son clavier si subtil ou si Xavier Torres n’avait rappelé qu’un piano peut y être absolument chez lui sans l’once d’un complexe (mais pas sans interrogations).
Et puis voici Ji, compositeur d’abord mais aussi virtuose fêté par le public londonien qui le suit de près. Il est bien de cette génération qui se moque comme d’une guigne des frontières, physiques ou artistiques, et s’il entre dans « ses » Goldberg par un thème très posé et en sort de même par la même porte, quel voyage entre les deux, qui ne pose pas la question que tant posent : où sont les Goldberg, mais plutôt « quand ? ».
Car c’est à un vertigineux précipité de styles, un prodigieux abécédaire d’atmosphères, un enivrant panoramique de paysages que se livre tout entier un piano si libre de ton, de manières, d’usages, qu’il en hérissera plus d’un d’autant qu’il a les moyens de son insolente tabula rasa.
Les ornementations sont folles, au point d’enchevêtrer encore plus de polyphonies que celles pensées possibles par Bach, les couleurs fusent, parfois un peu primaires, les rythmes sont si fouettés que l’on a plus d’une fois le sentiment d’un texte inédit. C’est absolument exaltant et pour beaucoup d’entre vous, j’imagine que le point de non-retour sera atteint.
Mais voilàa, depuis les idiosyncrasies de Glenn Gould, les Goldberg sont devenues pour les pianistes cet espace ouvert où tout doit être possible. La foulée athlétique, les manières irrévérencieuses, le côté déjanté de Ji proclament en tous cas que le génie de Bach supporte tout, mieux, qu’il sourit aux audacieux.
LE DISQUE DU JOUR
Johann Sebastian Bach (1756-1791)
Variations Goldberg, BWV 988
Ji, piano
Un album du label Warner Classics 9029571937
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Photo à la une : © DR