Sir Eugene Goossens, symphoniste visionnaire, fut un des interprètes historiques de Sir Arnold Bax au disque : dès 1928, il gravait Tintagel, puis Mediterranean, Bax lui dédia Happy Forest, mais Goossens n’enregistra jamais ne serait-ce qu’une seule de ses symphonies.
La publication de cette captation « on the air » de la Deuxième par les soins de Roger Itter, qui ce soir-là avait branché son magnétophone, le fait d’autant plus regretter, lecture tempétueuse qui exalte les paroxysmes de l’écriture baxienne et en fait chatoyer les couleurs, emporté par un geste exalté où les parfums des landes irlandaises submergent les mélodies. Elle me venge de l’absence d’une version signée par Sir John Barbirolli tant l’œuvre semblait écrite pour lui. Avec Goossens, on a l’impression que l’encre en est à peine sèche, c’est un peu comme si on assistait à la création de l’œuvre, que Serge Koussevitzky, son dédicataire, dévoila à Boston le 13 décembre 1929.
Monophonie somptueuse (on est en novembre 1956), qui place l’orchestre dans une perspective profonde, comme si les ingénieurs avaient essayé de reproduire le vaste espace de cette musique. L’éditeur ajoute une version inédite de Winter Legends, tribut de Bax à Jean Sibelius dont il admirait l’œuvre et dont il fut l’ami. Ecrites pour Harriet Cohen, enregistrées très tard (1967, par Margareth Fingerhut), la BBC donnait en 1978 ces Légendes d’hiver en concert sous la direction évocatrice de Raymond Leppard (dévoué à la cause de Bax, il avait gravé pour Lyrita dans les années 1970 des lectures radicales des 5e et 7e Symphonies), avec un pianiste de première force qui en faisait tonner les tempêtes : John McCabe, à qui l’on doit ce qui demeure la meilleure intégrale des Sonates de Haydn, fut également un compositeur d’importance, et joue l’œuvre en en accentuant les aspérités, le clavier moderne. Passionnant, très différent des lectures plus romantiques de Fingerhut (Chandos) ou Ashley Wass (Naxos).
Si le langage de Bax est prolixe, celui d’Edmund Rubbra vise à une certaine ascèse. Plain-chant, arborescences polyphoniques, vastes phrases qui semblent ouvrir vers un infini de gris colorés, sa musique fascine immanquablement celui qui veut bien lui prêter une vraie attention. La lecture grondeuse, très chantée de la Deuxième Symphonie selon Sir Adrian Boult est une sacrée révélation : il avait créé l’œuvre en décembre 1938, l’exécution donnée le 8 octobre 1954, publiée ici pour la première fois, est en fait la création de la version révisée (1946) de cette partition sombre, plus violente qu’aucune autre œuvre de Rubbra. Boult y est génial, donnant au Lento rubato initial un élan chronophage, la musique ne cessant de s’y développer. Le rapport de Rubbra avec le temps musical m’évoque toujours celui également entretenu par Allan Petterson. Mais là où Petterson repousse le temps – ses symphonies visent à l’infini – Rubbra l’enferme dans des structures parfaites qui en abolissent la continuité : son temps est éternel.
Autre saisissement, la création par le compositeur de sa Quatrième Symphonie au cœur de la guerre, le 14 août 1942, triptyque de déploration qui prend ici tout son caractère de célébration funèbre dans les vastes déploiements des polyphonies comme dans le concert intime où une flûte s’esseule. Quelle œuvre !, que le compositeur vous explique ensuite, se mettant au piano, montrant derrière les lacis polyharmoniques les thèmes tous pris dans les musiques élisabéthaines. Disque prodigieux, documents révélateurs qui éclairent l’art d’un des tous grands compositeurs du XXe siècle, par delà-même Albion.
LE DISQUE DU JOUR
Symphonie No. 2, GP 276
BBC Symphony Orchestra
Eugene Goossens, direction
Winter Legends, pour piano et orchestre, GP 303
John McCabe, piano
BBC Northern Symphony Orchestra
Raymond Leppard, direction
Un album du label Lyrita REAM1137
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Symphonie No. 2, Op. 45
BBC Symphony orchestra
Sir Adrian Boult, direction
Symphonie No. 4, Op. 53
BBC Symphony orchestra
Edmund Rubbra, direction
Un album du label SOMMCD0179 (Celeste Series)
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Photo à la une : Le chef d’orchestre Sir Adrian Boult avec, à droite, le compositeur Edmund Rubbra – Photo : © DR