Torpide

Sir Simon Rattle fut toujours gourmand de musique française, son album Debussy, dès son temps de Birmingham (Images, Jeux) l’aura prouvé, ses Ravel épurés surprennent toujours en bien aujourd’hui comme ceux de ce concert donné au Barbican le 13 janvier 2016, Le Tombeau de Couperin ombreux, Seconde Suite de Daphnis et Chloé qui s’éclaire peu à peu d’un vaste soleil, admirablement mené à son climax dans une seule grande ligne de chant.

Que ne dirige-t-il après cela Bacchus et Ariane ou quoi que ce soit d’ailleurs d’Albert Roussel. Mais non, il va chercher du plus rare, du moins pour nous Français : les Quatre poèmes hindous de Maurice Delage furent popularisés en Angleterre par un fameux disque de Janet Baker et du Melos Ensemble, Julia Bullock le connaît visiblement par cœur, elle le reprend trait pour trait, pourtant plus diseuse que sensuelle, plutôt dans la narration que dans l’imaginaire, Rattle réglant le petit orchestre avec un raffinement certain.

Mais le pari (risqué) du concert reste sa face Dutilleux. Il y a un vrai mystère avec les Métaboles, Munch ou Szell (ce dernier live) les enregistrant leur encre à peine sèche s’immergeaient dans cet océan de sonorités inédites, dans cet orchestre reptilien, avec une sorte de fascination. Sir Simon Rattle, comme tant de chefs d’aujourd’hui les dirige à distance, radiographie qui fait tout entendre d’un orchestre inouï mais n’en saisit pas absolument l’esprit : le torpide leur manque. Les choses se mettent plus simplement en place pour L’arbre des songes, où le violon de Leonidas Kavakos flamboie, inspirant à l’orchestre une liberté de mouvements, des chatoiements de couleurs où son archet vient rêver, magique vraiment.

Tout comme un enregistrement, lui aussi capté en concert de Tout un monde lointain par le jeune violoncelliste allemand Leonard Elschenbroich : l’archet rugit, tonne, se cabre, les pizzicatos fusent, brûlants ; cette Intrada dans le presque rien de la percussion, sur le tapis des cordes ouvre grandes les portes d’un rêve qui ne vous lâche plus, on va jusqu’au bout du voyage comme sous opium, fascinant aussi par le rapport très intime entre le violoncelle et l’orchestre dirigé par John Wilson : ils se prolongent l’un l’autre.

L’album propose aussi une Sonate de Debussy très dite, dont la Sérénade cherche l’étrange avant que son Finale s’envole, et une splendide Vocalise-étude en forme de Habanera dont Ravel aurait adoré le style un peu précieux. S’y ajoute le mouvement « a cello » du Quatuor de Messiaen et le Premier Concerto de Saint-Saëns joué très poétique, dont la virtuosité chante avec une élégance folle. Bel album entièrement français d’un violoncelliste à suivre absolument.

LE DISQUE DU JOUR


Henri Dutilleux (1916-2013)
Métaboles
L’Arbre des songes (Concerto pour violon)
Maurice Delage (1879-1961)
Quatre Poèmes hindous
Maurice Ravel (1875-1937)
Le Tombeau de Couperin,
M. 68a

Daphnis et Chloé, Suite No. 2,
M.57b

Julia Bullock, soprano
Leonidas Kavakos, violon
London Symphony Orchestra
Sir Simon Rattle, direction
Un DVD/Blu-ray du label LSO Live 3038
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Siècle
Henri Dutilleux (1916-2013)
Tout un monde lointain
(Concerto pour violoncelle)

Camille Saint-Saëns (1835-1921)
Concerto pour violoncelle
No. 1 en la mineur, Op. 33

Claude Debussy (1862-1918)
Sonate pour violoncelle
et piano, L. 135

Maurice Ravel (1875-1937)
Vocalise-étude en forme de Habanera, M. 56 (arr. pour violoncelle : Bazelaire)
Olivier Messiaen (1908-1992)
Louange à l’Éternité de Jésus (No. 5, extrait du « Quatuor pour la fin du Temps »)

Leonard Elschenbroich, violoncelle
Alexei Grynyuk, piano
BBC Scottish Symphony Orchestra
John Wilson, direction (Dutilleux)
Stefan Blunier, direction (Saint-Saëns)
Un album du label Onyx Classics 4173
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Photo à la une : © DR