Révélation

Une légende poursuit Aline van Barentzen : elle ne serait, comparée à Haskil, à Guller, qu’une pianiste probe, sans imagination, enfant prodige détruite par une mère marâtre qui aurait asséché son art. Une certaine timidité s’entend dans ses rares disques parfaits, un peu anonymes, où son jeu qu’on devine splendide, ne se livre pas. Pudeur où distance ?

Mais voilà que Meloclassic, sans s’arrêter à tout cela, publie quelques enregistrements faits au cours des années 1950 pour les radio allemandes. La donne va-t-elle changer ? Oui, dès la Sonatine de Ravel, mesurée, murmurée, très simplement jouée, avec un Mouvement de menuet qui danse après un modéré ombreux, et où, plus que ses qualités simplement pianistiques, paraît un art du chant, du phrasé, de la coloration des registres, celui de la grande pianiste qu’elle fût.

Cette simplicité, qu’on prend pour de la réserve, émerveille dans trois Préludes de Debussy subtilement effleurés : Voiles est dans un quasi silence hypnotique, Minstrels une esquisse, et Ondine, dorée à l’or fin, sensuelle et fragile à la fois, juste un petit miracle.

Le sens de la forme magnifie un discours un peu hautain dans la Troisième Sonate de Chopin, qui est admirable par le poli des phrasés, l’intelligence des tempos, un remarquable jeu des polyphonies, un sorte de classicisme qui rappelle le geste de Lipatti, ce n’est pas rien. Et quelle clarté dans les deux Etudes de l’Op. 25 !

Grande beethovénienne devant l’Eternel, Barentzen délivre une Clair de lune jouée dans la profondeur du clavier, d’une beauté pianistique soufflante, totalement intériorisée. Sa Pathétique, qui refuse toute ostentation, est de bout en bout tenue pour la sonorité – elle joue à l’échelle dynamique inférieure, avec des subtilités dans les timbres qu’on y entend rarement, Arrau faisait parfois ainsi au concert – tout cela construit avec un sens des équilibres qui renforce encore la modernité du discours.

Grande pianiste, admirable artiste, enfin vengée d’une ingrate réputation : découvrez-la ici.

LE DISQUE DU JOUR

Maurice Ravel (1875-1937)
Sonatine, M. 40
Frédéric Chopin (1810-1849)
Sonate pour piano No. 3 en si mineur, Op. 58
12 Etudes, Op. 25 (2 extraits : No. 1 en la bémol majeur, No. 11 en la mineur)
Claude Debussy (1862-1918)
12 Préludes, Livre I, L. 117 (2 extraits : II. Voiles, XII. Minstrels)
12 Préludes, Livre II, L. 123 (1 extrait : VIII. Ondine)
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour piano No. 14 en ut dièse mineur, Op. 27 No. 2
Sonate pour piano No. 8 en ut mineur, Op. 13 “Pathétique”

Aline van Barentzen, piano

Un album du label Meloclassic MC1021
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Photo à la une : © DR