C’est le secret de Debussy : abolir le temps et l’espace. Si sa musique doit à toute force être un paysage, c’est d’abord un horizon, une de ces toiles dont le ciel occupe les deux tiers. Car au-delà de la figuration, une spiritualité s’impose, panthéisme qu’il faut savoir transmuer dans un clavier versicolore.
Vincent Larderet, sur son Steinway si plein, si ample, a certainement saisi la spiritualité : remettant sa plume dans celle de Caplet, il orne la parabole sensualiste du Martyre de saint Sébastien de ce sombre oriflamme que seul l’orchestre portait. Le voici dans le piano, écoutez seulement l’inquiétude de la Danse extatique où l’hymne du Finale du Premier Acte, proclamation qui transforme le piano en trompette, avant que le mystère trouble de La Chambre magique paraisse. Et soudain, je perçois dans ce Martyre comme des échos de La Tragédie de Salomé de Florent Schmitt, dont Vincent Larderet avait gravé une pénétrante version pianistique.
Mais la spiritualité est tout aussi omniprésente dans le reste de l’album. L’Hommage à Rameau fait un premier tombeau auquel le mystère recueilli, un peu angoissé, de Canope, fera écho. Ouvrir le disque avec le Premier Livre des Images, c’est signifier qu’ici commence, en 1905, le langage de maturité de Debussy, y enchaîner ensuite le Deuxième Livre des Préludes souligne cette logique d’un album consacré à la grammaire si singulière du Debussy de la pleine maturité.
Tout le Deuxième Livre est joué avec une attention aux indications de Debussy, à ses mouvements, à ses notations, à ses suggestions, qui révèlent le texte dans toute son opulence harmonique. Jeux à dix doigts, éloquent, qui prend tout le temps nécessaire pour explorer les nombreuses strates de ces œuvres qu’on joue souvent trop caressées. Arrau faisait ainsi, Vincent Larderet, avec son propre style, s’en souvient-il ?
Ce piano profond, inspiré, saisit l’atmosphère glacée de Feuilles mortes, voit dans Ondine un caprice noir, et creuse l’espace de Feux d’artifice pour en tirer non une description mais une abstraction : le piano moderne s’y élève tel un manifeste.
Maintenant, je serais bien curieux du Premier Livre des Préludes, des Images oubliées et du Second Livre ou encore d’Estampes.
LE DISQUE DU JOUR
Claude Debussy (1862-1918)
Images, Livre I, L. 110
Préludes, Livre II, L. 123
Le martyre de saint Sébastien, L. 124 : Fragments symphoniques (arr. pour piano : Vincent Larderet, d’après Caplet)
Vincent Larderet, piano
Un album du label Ars Produktion 38240
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Photo à la une : © DR