Marc-André Hamelin, le plus virtuose des pianistes de sa génération, qui aura commencé sa carrière discographique avec les œuvres les plus ardues du répertoire en vient aujourd’hui à Schubert. Un premier album où le rejoignait Steven Osborne l’avait montré chez lui dans un univers où, préjugés obligent, je ne l’attendais pas.
Ici, c’est au chef-d’œuvre qu’il touche, étape supplémentaire et pour ainsi dire ultime dans l’univers même de Schubert. Le fameux trille qui gronde chez tant de pianistes se fait ombre, murmure inquiet dans le murmure général de l’exposition, où un clavier fluide, sans aucun appui, dit son chant en estompe ; peu à peu, la lumière gagne, mais jusque dans le forte, ce toucher veut suggérer. Au long de la sonate, une décantation de l’harmonie se produit, qui fera les deux mouvements finaux légers comme des plumes, très sereins mais sans les piaffements, le contraste qu’on y trouve si souvent et qui sonnent trop voulus après les mystères des deux premiers mouvements. Les Impromptus D. 935 pêcheraient par un excès d’élégance si ces doigts véloces, ce clavier si éduqué ne rendaient leur écoute fascinante pour la simple beauté du jeu. Mais on est loin du caractère que leur donnait Edwin Fischer.
C’est aussi à la Sonate en si bémol que s’attaque Camiel Boomsma, dont les disques Liszt avaient montré la sonorité magique, et il entend tous les tourments que Marc-André Hamelin tient à distance. Rubato subtil, tempos plutôt vifs qui sont en rapport avec les résonnances des instruments que Schubert connaissait, une dramaturgie se met en place au long d’un Moderato très peu molto et qui interroge les affects du texte.
Lecture intime mais pourtant éloquente qui sans cesse tire l’oreille. La barcarolle de nuit sombre de l’Andante traverse l’espace comme un rayon de lune, merveille ! Le Scherzo, l’Allegro final sont faits sans façon, légers, musardant, avec quelque chose de quasi enfantin qui surprend en bien, même dans les assombrissements nostalgiques. Et quel toucher !, qui s’accomplit plus encore dans les quatre opus de Chopin ouvrant le disque, trois Nocturnes respirés larges, dits amples, et le Troisième Impromptu modelé avec un sens plastique qui vient nous rappeler que Camiel Boomsma est un poète du clavier – dont j’espère demain les Mazurkas.
LE DISQUE DU JOUR
Franz Schubert (1797-1828)
Sonate pour piano No. 20 en
si bémol majeur, D. 960
4 Impromptus, Op. 142,
D. 935
Marc-André Hamelin, piano
Un album du label Hypérion CDA68213
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Musings
Franz Schubert (1797-1828)
Sonate pour piano No. 20 en
si bémol majeur, D. 960
Frédéric Chopin (1810-1849)
Nocturne en si bémol mineur, Op. 9 No. 1
Impromptu No. 3 en sol bémol majeur, Op. 51
Nocturne en si majeur, Op. 62 No. 1
Nocturne en ut mineur, Op. 48 No. 1
Camiel Boomsma, piano
Un album du label Challenge Records CC72756
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Photo à la une : Le pianiste Camiel Boomsma – Photo : © Hans van der Woerd