Le mariage paraît évident, et musicalement il saute aux oreilles. Le jazz que Ravel met dans son Concerto en sol, l’œuvre qu’il emportera dans ses bagages pour sa tournée américaine, y dirigeant Marguerite Long, est absolument celui, stylisé, élégant, au swing graphique, que Gershwin avait mis à son Concerto en fa, de cinq ans l’aîné de l’opus du Français.
En dehors du rapport au jazz, les deux œuvres ont un même orchestre coloriste, très Delaunay, avec des profondeurs de champ dans leurs lumières respectives ; le soliste y est aussi un instrument dans la palette. Conscient de tout cela, Denis Kozhukhin irise son Concerto en sol d’un toucher filigrané, comme en songe : ses trilles sont magiques, ses accords ailés, tout son clavier s’exhausse dans une lumière qui ne se crispe jamais, mais ne manque pourtant jamais de corps.
Secret de cette lecture si ouverte, où les musiciens romands mettent leur kaléidoscope de couleurs fraîches, un giocoso constant, qui se poursuit même dans l’Adagio assai, heureux, serein, mené jusqu’à son trille final sans une ombre. Du Mozart. Le Concerto en fa de Gershwin piaffe, caracole, s’amuse, vraie musique de show, savoureuse, où l’orchestre vrombit et pétarade, c’est irrésistible de rythme, mais là encore sans les raideurs, sans surtout le bruitisme abrupt que tant y auront mis.
Et le Concerto pour la main gauche ? Kozhukhin en dissipe les ombres, le joue très nuit claire – les cadences sont magnifiques, pleines d’étoiles tristes – avec une simplicité qui évite tout dramatisme. Conception qui pourra surprendre, assez classique de ton comme de mouvement, certainement plus ravélienne par l’esprit de pureté, par une pudeur aussi, que tant d’autres versions qui auront été aux tréfonds d’une partition terrible, quitte à la solliciter par trop. Pourtant, même pour moi, elle reste trop dans la surface de ce nocturne ensanglanté. Mais dans l’équilibre de l’album, qui place l’œuvre de Gershwin au centre, elle se justifie.
LE DISQUE DU JOUR
Maurice Ravel (1875-1937)
Concerto pour piano et orchestre en sol majeur, M. 83
Concerto pour piano et orchestre en ré majeur, M. 82 « Pour la main gauche »
George Gershwin (1898-1937)
Concerto pour piano et orchestre en fa majeur
Denis Kozhukhin, piano
L’Orchestre de la Suisse Romande
Kazuki Yamada, direction
Un album du label Pentatone PTC5186620
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Photo à la une : © Marco Borggreve