Pour un premier disque, il fallait oser ce qui, au fond, est un album César Franck, c’est-à-dire oser jouer non seulement Prélude, Choral et Fugue (et avec quelle densité de son et de propos !) mais aussi le splendide Prélude, Aria et Final autrement difficile à composer au piano tant son discours semble pensé pour l’orgue.
Pas d’autres choix que d’en creuser les timbres, d’en alléger en pianissimo murmuré les réponses séraphiques que font les aigus, de conduire le tout dans une lumière nacrée dont le Prélude est si généreux. Il faut savoir y respirer, mieux y rêver et faire rêver celui qui écoute, ce à quoi Marie-Ange Nguci parvient d’évidence. Et pour les tourments du Finale, il faut un sacré caractère, elle l’a, moyens phénoménaux mais d’abord un instinct des contrastes, des atmosphères, une facilité déconcertante à échapper aux contingences du clavier pour y faire entrer un orchestre au point que le visage du célèbre Prélude, Choral et Fugue en est comme changé.
Entre ces deux cahiers monumentaux, Les Litanies de l’ombre de Thierry Escaich font aussi une œuvre d’orgue au piano, hanté de grégorien, dont la couleur s’allie à la palette sombre de Franck, mais le coup de génie du disque est pourtant ailleurs : la Chaconne de Bach ouvragée par Busoni, dite avec une ferveur hautaine, commencée dans une intensité spirituelle altière, va prendre feu, arche tendue à rompre et dont les polyphonies monstrueuses sont celles d’un ange d’Apocalypse. Quel tempérament, cette jeune femme que je suivrais pas à pas !
LE DISQUE DU JOUR
En miroir
César Franck (1822-1890)
Prélude, Aria et Final, FWV 23
Prélude, Choral et Fugue, FWV 21
Thierry Escaich (né en 1965)
Les litanies de l’ombre
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Chaconne de la Partita pour violon seul No. 2 BWV 1004 (arr. Busoni, BV B 24))
Camille Saint-Saëns (1835-1921)
Toccata d’après le Finale du 5e Concerto (extrait des « 6 Etudes Op. 111 »)
Marie-Ange Nguci, piano
Un album du label Mirare MIR362
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Photo à la une : © DR