Avec esprit

Sviatoslav Richter se sentait absolument libre lorsqu’il mettait sur le pupître de son piano une sonate de Haydn, voyant dans les notes cette moisson de bonté dont l’humour était le piment, le reflet de sa propre philosophie.

Idem pour Arthur Ancelle, qui se délecte sans façon des encorbellements dont Haydn varie le motif de l’Allegro moderato qui ouvre la Sonate No. 31. Il faut savoir ici suggérer et piquer (et aussi construire un crescendo et suspendre le temps), maîtriser tout un langage qui serait prompt à se faire bavard si l’on ne saisit pas les subtilités d’une écriture au cordeau. Il faut y être précis jusque dans l’ornementation qui ne saurait souffrir d’être un décor mais doit au contraire participer à plein de l’expression.

Car Arthur Ancelle l’a compris, derrière les fantaisies de l’écriture, le giocoso des humeurs, c’est tout un discours du sensible, une imagination colorée, une instabilité des émotions et des sentiments dont Haydn, enfant du Sturm und Drang à l’égal de Mozart, fait le ressort de sa syntaxe.

Avec cela, le pianiste français joue clair mais en plein clavier, transforme les excentricités en de désarmantes confidences, ouvrant les portes d’un jardin secret qu’il parcourt avec un brio teinté de tendresse. Cela vaut pour les sonates des années 1767-1768, mais pour l’ultime sonate de 1795 ?

Le thème majestueux, portique qui fait penser à une symphonie (et même d’ailleurs à la Jupiter de Mozart), résonne altier sous ses doigts : la majesté lumineuse du discours, l’élan des fusées, puis soudain cette touche d’humour ! quel équilibre dans ce jeu qui a conscience qu’ici Haydn aborde d’autres rivages : Beethoven se profile dans les grands pianofortes que le compositeur de La Création joue désormais ; les moyens si amples que dévoilent les nouveaux instruments sont ici employés à plein par un pianiste qui saisit le point de bascule entre deux temps historiques.

Album magnifique qui en appelle d’autres, j’aimerais tellement l’entendre dans les Variations en fa mineur.

LE DISQUE DU JOUR

Franz Joseph Haydn (1732-1809)
Sonate pour clavier (No. 31) en la bémol majeur, Hob. XVI:46
Sonate pour clavier (No. 30) en ré majeur, Hob. XVI:19
Sonate pour clavier (No. 62) en mi bémol majeur, Hob. XVI:52

Arthur Ancelle, piano

Un album du label Decca 4626240
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Photo à la une : © DR