Elève de D’Albert, défricheur infatigable du répertoire – ses 78 tours Polydor et Gramophon abondent en premières au disque – Walter Rehberg né genevois mais berlinois d’adoption, fut fêté comme un lisztien de premier rang. C’est du moins la légende qui le poursuivit au point de réduire son art à celui d’un virtuose qui aimait les textes entachés, les révisions de Busoni ou de Godowski et qu’infirme avec un certain bonheur l’abondant panorama que publie aujourd’hui APR.
Surprise, ses Liszt pleins de paprika sont certes virtuoses plus par l’élan que par l’exactitude, son clavier à l’emporte-pièce montre une technique phénoménale pourtant plus soucieuse du caractère que des textes. A revers de ce grand geste spectaculaire, c’est un poète qui parle, et dans Liszt d’abord, éclairant le versant lyrique avec un art de la couleur, un bel canto, et dans ce bel canto même une rigueur où s’épurent les lignes, Eglogue, la 3e Consolation, les Jeux d’eau à la Ville d’Este, les Cloches de Rome sont des sonnets magiques où le timbre est si pénétrant qu’on croit entendre un chanteur.
Des Brahms mirifiques, savoureux – Rehberg donna l’intégrale de son œuvre de piano dans les années vingt -, une Invitation à la danse effleurée et magique, des Grieg et des Mendelssohn qui saisissent par leurs sens de l’évocation en disent plus encore sur l’art d’un pianiste qui fut en fait un artiste avant d’être un virtuose, lequel s’efface devant un vrai peintre qui brosse avec élan et subtilités les trois Valses de Strauss ornementées par Grünfled, Schulz-Ever ou Bass.
Mais le vrai visage de ce tout grand du clavier paraît dans le grand répertoire, Sonate en sol majeur de Haydn impeccablement dite, Wanderer-Fantasie de Schubert exaltée et visionnaire qui anticipe sur celle d’Edwin Fischer, Impromptus de grand caractère et plus étonnant encore une Polonaise-fantaisie, tenue, intense, si profondément sculptée qu’on ne l’oublie plus, tous préludes dans le premier disque de cet album à une Fantaisie de Schumann splendide, tombeau poétique où les timbres exhaussent un piano ample et résonnant. Quelle merveille ! qui fait regretter que Rehberg, qu’on voulait virtuose, n’ait pas plus sacrifié dans ses 78 tours aux grandes œuvres où son son art enfin pouvait paraître.
LE DISQUE DU JOUR
Walter Rehberg
Polydor Recordings, 1925-1937
Joseph Haydn (1732-1809)
Sonate pour clavier en sol majeur, Hob XVI:40
Franz Schubert (1797-1828)
Fantaisie en ut majeur, D. 760 « Wanderer »
Sonate No. 18 en sol majeur, D. 894 (extrait : III. Menuetto)
4 Impromptus, Op. 90, D. 899 (2 extraits : III. Andante en sol bémol majeur, IV. Allegretto en la bémol majeur)
6 Moments musicaux, Op. 94, D. 780 (extrait : III. Allegro moderato en fa mineur)
Frédéric Chopin (1810-1849)
Polonaise-fantaisie en la bémol majeur, Op. 61
Robert Schumann (1810-1856)
Fantaisie en ut majeur, Op. 17
Franz Liszt (1811-1886)
Der Tanz in der Dorfschenke, S. 110, « Mephisto Waltz No. 1 » (arr. Busoni)
Harmonies poétiques et religieuses, S. 173 (extrait : VII. Funérailles)
6 Consolations, S. 172 (extrait : III. Lento, quasi recitativo en mi majeur)
Rapsodie espagnole, S. 254, « Folies d’Espagne et jota aragonesa »
Années de pèlerinage I, S. 160 « Suisse » (extrait : VII. Eglogue)
Années de pèlerinage II, S. 161 « Italie » (extrait : V. Sonetto 104 del Petrarca)
Années de pèlerinage III, S. 163 (extrait : IV. Les jeux d’eaux à la Villa d’Este)
Ave Maria fur die grosse Klavierschule von Lebert und Stark, S. 182, « Die Glocken von Rom »
Soirées de Vienne, S. 427 (extrait : VI. Allegro con strepito en la mineur)
Valse de l’opéra « Faust » de Gounod, S. 407
Paraphrase de concert sur Rigoletto, S. 434
Carl Maria von Weber (1786-1826)
Aufforderung zum Tanze, Op. 65, J. 260
Johannes Brahms (1833-1897)
16 Waltzes, Op. 39 (8 extraits : Nos. 1, 2, 4, 5, 6, 11, 14, 15)
Rhapsodie en si mineur, Op. 79 No. 1
Rhapsodie en sol mineur, Op. 79 No. 2
Edvard Grieg (1843-1907)
Jour de noces à Troldhaugen, Op. 65 No. 6 (des « Pièces lyriques, Livre VIII »)
Au prtintemps, Op. 43 No. 6 (des « Pièces lyriques, Livre III »)
Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847)
Chant de printemps (Fruhlinhgslied), Op. 62 No. 6 (des « Lieder ohne Worte, Livre V, MWV U161)
Christian Sinding (1856-1941)
6 Stücke, Op. 32 (extrait : III. Frühlingsrauschen)
Sergei Rachmaninov (1873-1943)
Morceaux de Fantaisie, Op. 3 (extrait : II. Prélude en ut dièse mineur)
Johann Strauss Jr. (1825-1899)
Fruhlingsstimmen, Walzer, Op. 410 – Paraphrase de concert réalisée par Roderich Bass (1873-1933)
Soirée de Vienne, Op. 56 – Paraphrase de concert d’après des Valses, réalisée par Alfred Grünfeld (1852-1924)
Arabesken über « An der schönen blauen Donau » (arr. réalisé par Adolf Schulz-Evler)
Walter Rehberg (1900-1957)
Tanzstudien, Op. 3 (extraits : Nos. 1 & 3)
5 Fantaisies sur un thème de Verdi, Op. 2
Walter Rehberg, piano
Un coffret de 3 CD du label APR 7309
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Photo à la une : Le pianiste suisse Walter Rehberg avec sa comparse Margarete Klinckerfuss, qui s’était distinguée comme lui par la qualité singulière de ses interprétations d’œuvres de J. S. Bach – Photo : © DR