Eusebius

Tout jeune homme, Jean-Marc Luisada enregistrait pour Harmonic Records les fantasques Davidsbündlertänze et la secrète Humoreske, surprenant tout le monde : c’est Schumann qui parlait comme il n’avait plus parlé depuis Géza Anda ou Yves Nat.

Quel bonheur de le voir revenir à ces deux opus dans la magique acoustique de la Jesus-Christus-Kirche de Berlin Dahlem, celle-là même où Karajan aimait enregistrer ses disques, mais dont le volume convient idéalement au piano, et quel piano !

Le grand Steinway fruité, aux registres si subtilement appariés, réglé avec art par Gerd Finkensetein chante dans un kaléidoscope de couleurs, secret du jeu de Luisada, qui timbre tout, et fait briller les mélodies dans l’harmonie, trame mouvante où toute la complexité psychologique de Schumann s’épanouit. Car cette musique redoutable pour des mains fragiles veut tout de même une délicatesse, une finesse qui puisse faire tout entendre, et pour cela il faut savoir timbrer jusque dans les résonnances, pour suspendre le temps. Jamais les Davidsbündlertänze n’auront été si subtilement dansées et rêvées, sinon justement par Géza Anda, mais la pointe de Luisada est moins sèche que celle du Hongrois, les arrière-plans abondent, les rythmes sont plus libres, le Français utilise des licences poétiques qui font l’écriture schumanienne incroyablement fluide.

Trois pièces brèves (Mélodie et Fröhlicher Landmann des Pièces pour la jeunesse encadrant la Träumerei des Kinderszenen), font une ponctuation poétique avant que l’Humoreske ne chante sa grande phrase de confession. Schumann n’a jamais été plus loin dans l’expression de son intimité qu’en cette œuvre géniale et fragile qui échappe à tant de pianistes. Partition secrète, qu’il faut caresser, qui ne se rend qu’à force de douceur, et dont Jean-Marc Luisada a la clef : sans rien presser, il chante le cœur de cette musique rapsode, en irrigue la tendre cartographie de couleurs et de sentiments aussi variés que son toucher.

Disque merveilleux, probablement inusable, qui expose l’art d’un des tous grands maîtres du clavier entré dans sa maturité. Puisse-t-il poursuivre chez Schumann sous l’œil avisé de Cord Garben : Papillons, les Chants de l’aube, les Bunte Blätter l’espèrent.

LE DISQUE DU JOUR

Robert Schumann (1810-1856)
Davidsbündlertänze, Op. 6
Humoreske, Op. 20
Album für die Jugend, Op. 68 (2 extraits : I. Melodie, X. Fröhlicher Landmann, von der Arbeit zurückkehrend)
Kinderszenen, Op. 15 (extrait : VII. Träumerei)

Jean-Marc Luisada, piano

Un album du label RCA Japon SICC19025
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Photo à la une : © DR