Une pleine année d’écriture, de repentirs, d’exaltations, voilà ce que coûta Das Marienleben à Paul Hindemith dont la plume si aisée noircissait habituellement le papier à musique à la vitesse d’un bolide. Le cycle de Rilke, sa poésie en quelque sorte dénudée, trouvèrent une vêture naturelle dans l’écriture décantée, une certaine mise à distance des épisodes dramatiques (qui s’entend dès la Pietà primordiale) – fruit de son évolution stylistique vers la Nouvelle Objectivité qui allait marquer toute ses œuvres des années vingt et trente.
L’œuvre exige un couple de même force : si la soprano dit le texte ardent de Rilke, le pianiste construit pas à pas une cathédrale de lumière, Hindemith ayant encore resserré son écriture lors de ses corrections des années trente et quarante pour parvenir à hausser sa Marienleben au même degré d’intensité que le Winterreise de Schubert. Pourtant, Glenn Gould préférait l’œuvre dans sa version originale, où la partie de piano est plus aventureuse harmoniquement : c’est cette version princeps qu’ont choisie d’enregistrer Juliane Banse et Martin Helmchen.
Erna Berger, Gundula Janowitz (tardivement toutes deux) auront donné leurs lettres de noblesse discographiques au cycle, Juliane Banse y introduit une dimension expressive que l’œuvre semble pourtant interdire tant on la connaît seulement dans l’épure de sa version finale : son vibrato commande cette lecture plus dramatique, et Martin Helmchen y répond en poétisant à l’extrême son piano, personnage soudain, et non plus décor. Soudain l’œuvre prend un ton plus ardent, assumant une dimension dramatique qui rappelle que la veine expressionniste des années 1910 n’était pas encore tarie.
Lecture passionnante qui s’ajoutera sans doublonner à vos autres versions de ce cycle majeur, si votre discothèque en possède déjà plusieurs.
LE DISQUE DU JOUR
Paul Hindemith (1895-1963)
Das Marienleben, Op. 27
Juliane Banse, soprano
Martin Helmchen, piano
Un album du label Alpha 398
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Photo à la une : La soprano Juliane Banse – Photo : © DR