Préludes dramatiques

« Moto rubato », Joaquín Achúcarro affirme dès le Prélude en ut que son retour à Chopin est celui d’un artiste d’une autre époque. Qui oserait jouer ainsi, si librement, le cycle des Préludes, les prenant à bras le corps pour mieux les déclamer ?

Si, c’est surprenant, qu’on peut détester cette façon de dire « je » dans une musique où tant auront justement étalé leur ego et que, par une réaction salutaire, les pianistes de la jeune génération auront voulu rendre à la pureté de leurs textes. Pas Joaquín Achúcarro, qui ose tout, et finit par force de persuasion à nous faire entrer dans son Chopin sculpté, peu soucieux du beau son, absolument romantique dans cet art de phraser qui suspend la mesure, et parfois même altère le temps propre à ces musiques.

Il faisait déjà ainsi, encore jeune homme, dans ses Goyescas burinées, dans ses Falla arides, manière admirable et dérangeante qui trouve chez Chopin peut-être sa limite, en tous cas sa transfiguration.

Tout en m’interrogeant, j’écoute fasciné de ce que ce maître-pianiste fait ici, cette âpreté, cette noirceur tragique, ce jeu absolument à dix doigts qui extrait chaque goutte du suc de ces brèves pièces pour mieux les unifier d’un seul geste.

Deux Nocturnes sans lune seront de la même eau, une Barcarolle mesurée aussi, et plus étonnant la Fantaisie-impromptu, prise dans un tempo ample, qui devient ce poème quasi scriabinien que jadis Vladimir Horowitz tentait aussi. Unique, et troublant.

LE DISQUE DU JOUR

Frédéric Chopin (1810-1849)
24 Préludes, Op. 28
Prélude en ut dièse mineur, Op. 45
Prélude en la bémol majeur, Op. posth.
Fantaisie-impromptu en ut dièse mineur, Op. 66>
Nocturne en mi bémol majeur, Op. 9 No. 2
Nocturne en ut dièse mineur, B. 49
Barcarolle en fa dièse majeur, Op. 60

Joaquín Achúcarro, piano

Un album du label La Dolce Volta LDV44
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Photo à la une : © DR