On sait le legs faramineux engrangé par István Kertész pour Decca : cet ensemble si varié de disques à la fois si vivants et si parfaits porte la signature de l’art d’un jeune homme qui se noya lors d’une baignade en mer sur les côtes israéliennes dans sa quarante-troisième année ! Les disques restent exemplaires, de Mozart à Bartók, on pouvait les croire polis par le studio, magnifiés par les prises de son des ingénieurs du label londonien ; maintenant que les concerts avec l’Orchestre de Cleveland sont enfin révélés, le même degré de perfection dans l’exécution, la même énergie irrépressible dans l’interprétation s’imposent, et le répertoire s’élargit.
Savait-on qu’il participa au Mahler Revival des années soixante comme le proclame une ardente 2e Symphonie captée au Severance Hall le 31 octobre 1968, où se déploient de fabuleux panoramiques avant qu’une spiritualité incandescente n’anime l’immense Finale ? Birgit Finnilä y est sublime de mots et de chant, alors que Simone Mangelsdorff, étoile montante du nouveau chant allemand (la Freia si émouvante du Rheingold de Karajan, c’est elle !) s’y étrangle (et elle n’y sera pas la seule, cette montée à l’aigu est périlleuse en diable). Mais c’est l’orchestre tonnant et radieux, le chœur fulgurant, la direction altière et exaltée qui médusent.
Tout comme la lecture expressionniste qu’il donne des Tableaux d’une exposition, faisant voir derrière les raffinements de Ravel les eaux-fortes de l’original, autre ajout majeur à son répertoire discographique, capté un peu moins de trois mois avant sa disparition.
L’éditeur ajoute le concert du 19 avril 1973 : 8e Symphonie de Bruckner que Rafael Kubelík dirige à la mémoire de Kertész disparu trois jours plus tôt. Son Adagio irrespirable est l’image-même de la peine, et tout le concert un témoignage majeur quant à l’art humaniste du chef tchèque. Mais courez d’abord à cette flamboyante Résurrection, absolument historique.
LE DISQUE DU JOUR
Gustav Mahler (1860-1911)
Symphonie No. 2, « Auferstehung »
Simone Mangelsdorff, soprano
Birgit Finnilä, contralto
Chœur et Orchestre de Cleveland
István Kertész, direction
Un album du label St. Laurent Studio YSL T-451
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Modeste Moussorgski (1839-1881)
Tableaux d’une exposition (orchestration Ravel)
The Cleveland Orchestra
István Kertész, direction
Anton Bruckner (1824-1896)
Symphonie No. 8 en ut mineur, WAB 108
The Cleveland Orchestra
Rafael Kubelík, direction
Un album de 2 CD du label St. Laurent Studio YSL T-427
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Photo à la une : Le chef d’orchestre István Kertész – Photo : © Decca