Disque surprenant. En faisant voisiner Claude Debussy et Erik Satie, Fazil Say voulait-il inféoder le premier au second ? Ses Gnossiennes, admirables par le presque rien des harmonies altérées, sont troublantes au possible, et cherchent non pas l’abstraction d’une ligne simple et pure mais vraiment le silence qu’il y a derrière les notes, le tout dans un toucher de crépuscule doré qui accentue encore la blancheur du geste que seul vient troubler le chantonnement du pianiste. Idem pour des Gymnopédies, suspendues, en attente, mystiques assurément et blanches elles aussi, malgré les couleurs de ce piano magnifique que l’éditeur ne prend pas même soin de nommer.
A rebours de l’écoute, tout le Premier Livre de Préludes de Debussy a la même blancheur univoque, et la même conception du temps en musique. Plus un charme, mais un jeu droit qui, dès Danseuses de Delphes, donne le ton de l’ensemble : une musique venue d’ailleurs, non descriptive, orante, qui culmine dans une lecture spectrale de Des pas sur la neige.
Ce qu’a vu le vent d’Ouest est une abstraction de tempête, alors que Les sons et les parfums tournent dans l’air du soir a quelque chose d’une incantation qui la rapprocherait des Epigraphes antiques. Tout cela veut faire oublier les débauches de couleurs pour susciter une lecture en noir et blanc : les notes semblent jaillir de la partition. Radical autant que troublant, je me demande bien si le Deuxième Livre s’accorderait avec une vision si singulière.
LE DISQUE DU JOUR
Claude Debussy (1862-1918)
12 Préludes, Livre I, L. 125
Erik Satie (1866-1925)
6 Gnossiennes
3 Gymnopédies
Fazil Say, piano
Un album du label Warner Classics 0019029570567
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Photo à la une : Le pianiste turc Fazil Say – Photo : © Marco Borggreve