Gramophone vient de lui décerner son prix du meilleur disque orchestral de l’année. Ce Daphnis et Chloé selon Les Siècles est le pénultième volume de la saga que François-Xavier Roth et ses musiciens auront consacré aux Ballets Russes, il m’avait échappé.
La question de pousser l’interprétation historiquement informée jusqu’après la Grande Guerre a d’ailleurs fait florès, puisque les mêmes auront dans l’entretemps signé un second volume Ravel affichant Le Tombeau de Couperin (achevé en plein conflit) et puisqu’aussi bien Jos van Immerseel les aura précédés avec un album qui aura fait grand bruit et où figurait le Concerto pour la main gauche. Comment ne pas entendre, à l’audition des pleins et des déliés félins de ce nouveau Daphnis qu’une relecture historiquement informée de cette période trouve pleinement son objet avec le répertoire que les orchestres français jouaient alors à Paris. Leur instrumentarium si particulier, que les gravures électriques de Coppola, Gaubert, Munch, Wolff, Désormière documenteront largement, donne une image sonore subtilement différente de ce que les orchestres d’aujourd’hui peuvent proposer.
D’où dans ce Daphnis assez peu chorégraphique une poésie d’orchestre immanente, des gradations dynamiques expressives, des phrasés et des ornements de cordes qui ressurgissent, une dramaturgie particulière qui habille le néo-classicisme voulu par Ravel d’un imaginaire descriptif plus d’une fois surprenant. C’est que la musicologie est aussi passée par là, corrigeant quelques fautes d’impression, qui achève de rendre l’enregistrement nécessaire à toute discothèque ravélienne, sans pour autant qu’il y supplante Monteux, Ansermet, Cluytens, Munch, Rosenthal, Ozawa, ou même Kondrachine et son Concertgebouw : on ne renoncera pas à ces alcools plus forts.
D’autant que si la relecture de Daphnis ne peut se contester, le second album qui vient de paraître marque les limites que s’imposent à eux-mêmes Les Siècles et leur chef : leur Ma mère l’Oye lentissime, apprêtée, écoutée, ne sauraît être un ballet et n’a pourtant pas l’incroyable poésie narrative que Charles Munch mettait à la seule Suite ou Ozawa à l’intégrale.
L’Ouverture de féérie (Shéhérazade) s’essouffle dans les timbres pourtant plus fluides (réécoutez Martinon !) et Le Tombeau de Couperin, troussé, rustique, n’émeut pas. C’est la défaite de la conscience, le trompe-l’œil mortifère de l’art qui regarde l’art : à force de tout recomposer pour atteindre au plus près l’original, l’esprit s’en échappe.
Cependant, dans un siècle où la restauration vaut pour création, François-Xavier Roth et sa brillante phalange font œuvre utile en revisitant ainsi Ravel. Dernier bémol, la laideur du design des pochettes où le chef et l’orchestre s’affichent morcelés par un sinistre quadrillage. Puisque Ravel est le sujet de leurs dévotions, pourquoi ne pas le montrer : les beaux portraits photographiques du génie de Montfort abondent.
LE DISQUE DU JOUR
Maurice Ravel
(1875-1937)
Daphnis et Chloé, M. 57 (ballet intégral)
Ensemble Aedes
Marion Ralincourt, flûte
Les Siècles
François-Xavier Roth, direction
Un album du label harmonia mundi HMM 905280
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Maurice Ravel (1875-1937)
Ma mère l’Oye, M. 62
(ballet intégral)
Shéhérazade, ouverture de féérie, M. 17
Le Tombeau de Couperin,
M. 68a
Les Siècles
François-Xavier Roth, direction
Un album du label harmonia mundi HMM 905281
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Photo à la une : Le chef d’orchestre François-Xavier Roth – Photo : © Holger Talinski