À la marge

Les compositeurs discriminés par le régime nazi auront vécu leur tardive renaissance, au point que la notion d’ »Entarte Musik » s’étend par déviation à tout un pan de la musique savante du XXe siècle. Les quatre compositeurs réunis dans ce double album de captations réalisées en concert durant l’EntArteOpera Festival n’ont que peu de rapports entre eux, mais ces œuvres furent longtemps oubliées ou restèrent méconnues.

La plus étonnante est bien le Concerto pour violon, cor et orchestre qu’Ethel Smyth, suffragette certes mais d’abord vrai génie et pas seulement par son opéra The Wreckers que Bruno Walter défendit, composa pour Jelly d’Arányi et Aubrey Brain (le père de Dennis) en 1926. Partition étonnante par sa poésie fiévreuse, ses audaces harmoniques, la pure beauté de ses mélodies. C’est un bain de jouvence avec encore quelque chose de l’ancien monde édénique dont l’archet de Thomas Albertus Irnberger saisit les timbres chaleureux et les accents vigoureux.

Tout cela semble à cent lieux lorsque résonne le petit orchestre bigarré et persiffleur, aux carrures cubistes dont Vítězslava Kaprálová habille son violon et sa clarinette solistes, concerto manifeste de la nouvelle école tchèque que la jeune femme, emportée à Montpellier par la typhoïde, n’eut pas le temps de terminer, les dernières pages s’achevant dans une sorte de suspension en mouvement perpétuel, après un Finale dont le giocoso fauviste n’est pas sans évoquer Roussel, qui paraît aussi dans le Concerto pour violon, piano et orchestre de Bohuslav Martinů, partition qui oppose à ses mouvements extrêmes suractifs un Adagio à la lyrique sombre qui annonce le monde crépusculaire des dernières symphonies : le violon de Thomas Albertus Irnberger y chante dans de surprenantes couleurs d’alto. Serait-ce la grande version de cette œuvre revenue en grâce depuis peu ? Certainement, et le piano suggestif de Michael Korstick, n’est pas pour rien dans cette réussite. Bonne nouvelle aussi, Irnberger a enregistré les deux concertos pour violon de Martinů chez le même éditeur.

Œuvre de l’exil intérieur écrite en 1939, qui fascine nombre de violonistes de la jeune génération, le Concerto funèbre de Karl Amadeus Hartmann devient sous l’archet de Thomas Albertus Irnberger un vrai requiem, partition au noir d’un éprouvant désespoir que magnifie les cordes-tombeaux du Georgisches Kammerorchester d’Ingolstadt sous la direction méditative de Martin Sieghart.

LE DISQUE DU JOUR

EntArteOpera Festival
Violinkonzerte und Doppelkonzerte

Ethel Smyth (1858-1944)
Concerto pour violon, cor et orchestre
Vítězslava Kaprálová
(1915-1940)
Concerto pour violon, clarinette et orchestre, Op. 21
Karl Amadeus Hartmann (1905-1963)
Concerto funèbre, pour violon et cordes
Bohuslav Martinů (1890-1959)
Concerto pour violon, piano et orchestre

Thomas Albertus Irnberger, violon
Milena Viotti, cor
Reinhard Wieser, clarinette
Michael Korstick, piano
Wiener Concert-Verein OrchesterIsrael Chamber OrchestraDoron Solomon, direction
Georgisches Kammerorchester IngolstadtMartin Sieghart, direction

Un album de 2 CD du label Gramola 99098
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Photo à la une : © DR