Ceux qui connaissent la petite maison en pierre de tuffeau de Candes-Saint-Martin où Henri Dutilleux, assis à sa table de composition, voyait la confluence de la Vienne et de la Loire savent à quel point ce paysage d’eaux mêlées, de grèves, d’aulnes et de saules est l’un des plus beaux de France et l’un de ses plus mystérieux. Il m’évoque toujours le bruissement végétal de sa musique et en particulier celui de la vaste scène lyrique qu’est Tout un monde lointain, si peu concerto, si totalement voix, en a-t-il écrit quelques notes dans cette maison sentinelle ou tout fut-il composé à Paris sur les flots de la Seine qui bercent l’Île Saint-Louis ?
Les ténébreux paysages opiacés de Tout un monde lointain auront trouvé depuis celui de Rostropovitch bien des archets inspirés, Christian Poltéra ayant à mes yeux franchi un cap supplémentaire dans la décantation.
Johannes Moser revient à l’essence trouble de cette nuit de rêves torpides, à cette langueur empoisonnée, à ce mystère qui ne veut pas céder, répète sa forme close et parfaite, boucle de quasi silence où l’espace s’abolit, où le temps s’écoule comme deux fleuves amants mêlant leurs sédiments sonores. La profondeur de ce violoncelle s’immerge dans l’abîme d’un orchestre qui l’enlace, tentacule de sons, ou étoile son chant de quelques cristaux luisants. Ce mystère, c’est Baudelaire dans la musique de Dutilleux, entendu enfin dans tout son spleen par le violoncelle du jeune homme. Admirable version qui va au cœur de l’œuvre.
Et le Concerto de Lutoslawski ? J’ai toujours souffert de le voir côtoyer celui de Dutilleux, couplage qu’on croit évident puisqu’il fut celui du disque princeps de Rostropovitch.
Autant l’œuvre de Dutilleux ouvre sur des infinis, autant celle de Lutoslawski, revêche, acide sinon aride, bruitiste, démonstrative, incarne pour moi le compositeur polonais à son plus bas, jeu de formes creux qui m’ennuie. Johannes Moser la joue avec une élégance certaine qui serait un contre-sens si Thomas Søndergård et ses Berlinois n’en disposaient les cadres sonores avec tant d’acuité. Mais vite, je retourne à ce frémissement dans un quasi silence des percussions rituelles qui ouvrent Tout un monde lointain.
LE DISQUE DU JOUR
Henri Dutilleux
(1916-2013)
Tout un monde lointain…
Witold Lutoslawski
(1913-1994)
Concerto pour violoncelle et orchestre
Johannes Moser, violoncelle
Rundfunk-Sinfonieorchester Berlin
Thomas Søndergård, direction
Un album du label Pentatone PTC 5186689
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Photo à la une : © DR