Le compositeur et l’orchestre

Claude Debussy, assistant à une exécution du Till Eulenspiegel de Strauss, fut dispersé façon puzzle, pas la musique caracolante que le héros batave aura inspirée au futur auteur du Rosenkavalier. Qu’aurait-il écrit s’il avait pu entendre ce Till l’Espiègle qui file droit vers le billot pour mieux renaître, tel que Gabriel Pierné l’a gravé le 15 octobre 1930.

Quelle folie, quel déluge, quelle irrépressible vitalité rythmique que rien ne peut réfréner : c’est d’ailleurs le signe de l’art de Pierné chef d’orchestre, il ne rubatise jamais, il joue moderne, droit, vif, lumineux, et son Till demeure à travers les décennies un modèle inaltéré remarquablement capté pour l’époque par les ingénieurs d’Odéon et fidèlement reporté par Yves St-Laurent à partir d’exemplaires en parfait état prêtés par Philippe Morin (une brève répétition au détour d’une tourne de face n’a pas été supprimée pour rester fidèle à l’esprit de l’édition originale de l’album 78 tours).

C’est le clou du second volume de cette édition Pierné consacré au répertoire d’ascendance germanique (on y trouve aussi la Première Suite de Peer Gynt, emplie de paysages). Quelle folie secoue les trois extraits du Songe d’une nuit d’été, quel lacis de bruissements magiques pour la Forêt de Siegfried, et ces Maîtres tour à tour philosophes ou joueurs ! Wagner illuminé par l’esprit français, comme le faisait aussi Cortot au Château d’eau dans les années vingt. Pourtant, Pierné atteint à une dimension supplémentaire dans le Prélude de Parsifal, lumineux mais empli d’interrogations, le motif initial devenant une fascinante question sans réponse.

Le premier volume illustre l’affection de Pierné pour le répertoire russe : impossible que vous ne soyez pas soufflés par la coda de son Capriccio espagnol, prestissimo, ou par la Suite de Pétrouchka qui fait voir des danseurs.

Secret de ses gravures si bien captées, les couleurs invraisemblables des bois et des vents français qui rappellent la poétique sonore qu’avaient alors en tête Stravinski. Si bien qu’on tient ici, comme pour la Berceuse de L’Oiseau de feu, la Deuxième Suite pour petit orchestre ou l’éblouissante fusée de Feu d’artifice des versions absolument philologiques.

Vite d’autres volumes, ils restent encore des Odéon (Berlioz, Debussy, …)

LE DISQUE DU JOUR

Gabriel Pierné
Vol. 1

Alexandre Borodine
(1833-1887)
Dans les steppes de l’Asie centrale, esquisse symphonique
Nikolai Rimski-Korsakov (1844-1908)
Capriccio espagnol, Op. 34
Vol du bourdon, extrait de l’opéra « Le Conte du tsar Saltan »
Introduction et Procession nuptiale, extrait de l’opéra « Le Coq d’or »
Igor Stravinski (1881-1971)
Feu d’artifice, Op. 4
Berceuse, extrait du ballet « L’Oiseau de feu »
Pétrouchka (Suite, version 1911)
Suite No. 2 pour petit ensemble

Orchestre de l’Association Artistique des Concerts Colonne
Gabriel Pierné, direction
Un album du label St-Laurent Studio YSL 78-757
Acheter l’album sur le site du label www.78experience.com

Gabriel Pierné
Vol. 2

Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847)
Le Songe d’une nuit d’été, musique de scène, Op. 61
(3 extraits : I. Scherzo, VII. Notturno, IX. Hochszeitmarsch)

Edvard Grieg (1843-1907)
Peer Gynt-Suite No. 1, Op. 46
Richard Wagner (1813-1883)
Waldweben (Murmures de la forêt), extrait de « Siegfried, WWW 86C »
Les Maîtres chanteurs de Nuremberg, WWW 96
(3 extraits orchestraux : Prélude de l’Acte III, Entrée et danse des apprentis, Marche des corporations des maîtres-chanteurs)

Parsifal, WWW 111 – Prélude
Richard Strauss (1864-1949)
Till Eulenspiegels lustige Streiche, Op. 28

Orchestre de l’Association Artistique des Concerts Colonne
Gabriel Pierné, direction
Un album du label St-Laurent Studio YSL 78-758
Acheter l’album sur le site du label www.78experience.com

Photo à la une : le chef d’orchestre et compositeur Gabriel Pierné (1863-1937) – Photo : © DR