Tchaïkovski par Gergiev, pathos et authenticité

L’Orchestre du Théâtre Mariinsky de Saint-Pétersbourg est une des plus anciennes institutions musicales d’Europe, dont l’origine plonge au début du XVIIIe siècle. Dirigé par les plus grands chefs de la fin du XIXe siècle et du XXe siècle, il fit la création de nombreuses œuvres et opéras de Tchaïkovski, Prokofiev, Rimski-Korsakov et Moussorgski. Renommé Théâtre du Kirov pendant la période soviétique, il a repris son nom dans les années 1990. L’arrivée du grand Valery Gergiev à sa tête il y a près de trente ans s’est conjuguée avec l’ouverture du pays à l’extérieur et à l’économie privée. L’orchestre et son chef sont désormais un des ensembles les plus attendus et demandés dans le monde. Les entendre, et les voir, dans ce qui est un des sommets du monde symphonique russe, est une formidable occasion d’en comprendre les raisons objectives.

Les trois symphonies composées par Tchaïkovski entre 1877 et 1893 (on excepte ici Mandred) ont la particularité commune d’être marquées par l’émotion tragique, Tchaïkovski faisant ressentir aux auditeurs son pathos, le poids du destin, du fatum disait-il, sur ses épaules et celles des hommes, impression qui ne quitta pas l’artiste entre son mariage raté pour cause d’homosexualité et sa mort mystérieuse dix-sept ans plus tard, période au cours de laquelle s’étend la composition des ces trois symphonies.

En tournée européenne, c’est en passage à feu la Salle Pleyel début 2010 que l’orchestre du Mariinsky et Gergiev ont enregistré cette somme sous les caméras imaginatives d’Andy Sommer (celui qui a réalisé également les Sonates de Beethoven par Daniel Barenboim, 6 DVD EMI/Warner). Souvent désormais, l’Orchestre du Mariinsky et Gergiev publient leurs disques et DVD sous leur propre label Mariinsky.

L’image permet de profiter parfaitement du style original de direction de Gergiev, avec des mains extrêmement expressives et probablement hypnotiques pour l’orchestre, et les mouvements de l’ensemble de son corps, parfois halluciné. Les symphonies sont dirigées avec l’emphase et l’expressivité nécessaire à cette musique, avec variations de tempo continues et des rallentandos à se damner. Ce n’est jamais vulgaire mais toujours très « interprété ».

Valery Gergiev, dans la très intéressante interview en bonus, explique combien la direction d’une symphonie de Tchaïkovski nécessite de complicité physique avec cette musique. Et la réalisation en images nous fait encore mieux ressentir cette leçon de direction d’orchestre où une centaine de musiciens sont constamment soulevés vers plus d’expression (préférez le Blu-Ray, avec une image et un son encore supérieurs). L’originalité de certains mouvements saute alors aux yeux, comme le Scherzo de la 4e Symphonie qui est entièrement en pizzicatos des cordes ou en solo des bois, ou encore le Finale de la 6e Symphonie qui est un adagio bouleversant, sans oublier la complète 5e avec la récurrence du thème du fatum dans tous les mouvements.

De plus, la réalisation enchaîne les mouvements sans nous montrer la pause entre les mouvements, où d’habitude les musiciens soufflent mais où le public, en particulier à Paris, lance souvent un concours de toux : cet enchaînement est une situation idéale jamais réellement atteinte en concert. Ce film est le moyen parfait de découvrir ou de creuser ces symphonies grandioses.

Gergiev et le Mariinsky ont aussi enregistré les trois premières symphonies, que l’on a pu visionner. Espérons qu’elles soient un jour disponibles, car dans ce répertoire bien plus rarement joué, Gergiev fait extrêmement bien ressortir la modernité de ces trois œuvres surnommées Rêves d’hiver, Petite Russie et Polonaise.

LE DISQUE DU JOUR

Piotr Ilitch Tchaïkovski (1840-1893)
Symphonie No. 4 en fa mineur, Op. 36, TH 27
Symphonie No. 5 en mi mineur, Op. 64, TH 29
Symphonie No. 6 en si mineur, Op. 74, TH 30

Orchestre du Théâtre Mariinsky
Valery Gergiev, direction
Enregistrements réalisés en janvier 2010, à la Salle Pleyel, Paris

Un DVD/Blu-Ray du label Mariinsky 0513/515
Acheter l’album sur le site du label Mariinsky ou sur Amazon.fr

Photo à la une : © Natasha Razina (Théâtre Mariinsky)