Écrit pour renouveler le succès romain d’Ercole sul Termodonte, Il Giustino n’avait connu au disque que deux fortunes relatives : Alan Curtis et son petit orchestre gris-trottoir soutenait une distribution modeste en coupant allégrement dans la partition (au point qu’Andronico aura bel et bien disparu de l’affiche et du drame !), le label Bongiovanni éditant l’œuvre dans son intégralité, sagement débitée par Estevan Velardi et son Consort Stradella avec un ensemble de chanteurs au final souvent plus valeureux que ceux de Curtis.
Mais les éclats héroïques, les scènes de merveilleux, l’ours furieux, la tempête qui fait échouer Anastasia et Giustino, tout cela ne paraissait ni chez l’un ni chez l’autre, comme si ce chef-d’œuvre brillant de Vivaldi était rangé au rayon seria alors que sa fantaisie débridée, ses inventions poétiques, ses gourmandises sonores (l’usage du psaltérion, couleurs irréelles pour deux airs dont l’inoubliable « Ho nel petto un cor si forte » de Giustino à la fin de l’Acte II) réclamaient l’urgence de la scène, les libertés du théâtre, ce que lui rend le geste enflammé d’Ottavio Dantone qui fait déferler les émotions, les intrigues, les batailles, le naufrage dans un orchestre démiurge et un continuo opulent où s’arriment une distribution assez fabuleuse à l’exception de la Leocasta de Veronica Cangemi, hélas épuisée, de timbre, de justesse.
Mais les autres ! Delphine Galou incarne le berger illyrien devenu Empereur de Constantinople avec une autorité d’autant plus stupéfiante que Vivaldi ne lui a guère orné un chant où il faut d’abord dire et faire accroire.
À la formidable Emőke Baráth les roucoulades, les affetti, le monde du décor des sentiments, au général rebelle Vitaliano la pure bravoure que dore le timbre si latin d’Emiliano Gonzalez Toro, à Anastasio les tessitures profondes que Silke Gäng évoque plus qu’elle ne trouve, mais sur ce point il faut tempérer les critiques : Vivaldi, contraint par la loi papale qui refusait la présence de femmes en scène, dut écrire tous les rôles de son nouvel opéra pour des voix masculines, dont nombre de castrats, la conversion pour une équipe essentiellement féminine ne se révèle pas au fond si périlleuse que cela.
Enfin le vrai visage de théâtre d’un des opéras majeurs écrits par Vivaldi hors de Venise est révélé !
LE DISQUE DU JOUR
Antonio Vivaldi (1678-1741)
Il Giustino, RV 717
Delphine Galou, contralto (Giustino)
Emőke Baráth, soprano (Arianna)
Silke Gäng, contralto (Anastasio)
Veronica Cangemi, soprano (Leocasta)
Emiliano Gonzalez Toro, ténor (Vitaliano)
Arianna Venditelli, soprano (Amanzio)
Allessandro Giangrande (contre-ténor : Andronico, ténor : Polidarte)
Rahel Mass, soprano (Fortuna)
Accademia Bizantina
Ottavio Dantone, direction
Un coffret de 3 CD du label Naïve OP3571
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Photo à la une : la contralto française Delphine Galou – Photo : © DR