La Moderne

Irma Kolassi y mettait un grand point de fierté : instruite comme elle l’était dans la composition, la fugue, l’harmonie, elle rappelait s’être appliquée tout au long de sa carrière de cantatrice à la défense et l’illustration de la musique du XXe siècle.

Elle aura été la Jocaste de l’Oedipus Rex pour Stravinski, ses nombreuses interprétations de la Shéhérazade de Ravel (avec Désormière, Inghelbrecht, et surtout pour Pierre Monteux au Concertegbouw) auront fait date, elle fut la créatrice en France des Altenberglieder de Berg et l’ardente prosélyte du Miroir de Jésus de Caplet, pour ne citer que quelques exemples. Mais le disque, trop heureux de son français parfait et de sa voix si noble, l’aura cantonné à la mélodie française où elle fut en fait sans égale, sinon Suzanne Danco ?

La série d’archives que publie Melism rétablit l’équilibre : écoutez le feu d’angoisse qu’elle distille dans le légendaire Erwartung que lui sertit l’orchestre mordant et évocateur de Hans Rosbaud. Création française de l’œuvre ? En 1952, c’est probable. Elle bluffa Hans Rosbaud en remplaçant au pied levé Birgit Nilsson et ensemble, ils redonneront l’œuvre pour la Radio de Baden-Baden. Ces acétates mythiques méritaient d’être aussi bien rééditées, elles font entendre non seulement l’étendue de cette voix unique, mais aussi la perfection de son allemand qui fait merveille aussi dans un abondant bouquet de mélodies populaires hongroises de Béla Bartók, mais aussi dans des Beethoven dont le sommet est pourtant l’italien si pénétrant d’In questa tomba oscura, rappelant la tragédienne subtile qu’elle savait être.

Le premier volume, consacré à l’univers des mélodies, surprend par des raretés : les Poèmes arabes de Louis Aubert avec le compositeur au piano, cycle qu’elle adorait, sont uniques ; les deux triptyques de Debussy, Le Promenoir des deux amants et les trois Chansons de Bilitis avec son cher Pierre Capdevielle au piano sont des modèles de galbe, de ligne, de mots purs et ardents ; les Roger-Ducasse sont émouvants au possible (et rarissimes !), mais précipitez-vous d’abord sur La Nuit de Jacques Leguerney sur des poèmes de Saint-Amant, trésor secret de la mélodie française !

Bravo à l’éditeur pour le travail de restitution sonore et les livrets artistement réalisés, et à l’abondante iconographie.

LE DISQUE DU JOUR

Irma Kolassi Archives, Vol. 1
Enregistrements inédits

Louis Aubert (1877-1968)
6 Poèmes arabes
Claude Debussy (1862-1918)
Le Promenoir des deux amants, L. 118
3 Chansons de Bilitis, L. 90
Jean Roger-Ducasse (1873-1954)
Noël des roses
Deux Rondels
Le cœur de l’eau
Jacques Leguerney (1906-1997)
La nuit
Genièvres hérissés (extraits de « Poèmes de la Pléiade, Volume 1 »)

Irma Kolassi, mezzo-soprano
Louis Aubert, piano
Pierre Capdevielle, piano
André Collard, direction
Un album du label Melism MLS-CD009
Acheter l’album sur le site www.ledisquaire.com, ou sur Amazon.fr

Irma Kolassi Archives, Vol. 2
Enregistrements inédits

Arnold Schönberg (1874-1951)
Erwartung, Op. 17
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
In questa tomba oscura, WoO 133
Der Kuss, Op. 128
3 Gesänge von Goethe, Op. 83 (2 extraits : I. Wohne der Wehmut, III. Mit einem gemalten Band)
Bélà Bartók (1881-1945)
20 Chants populaires hongrois, BB 98 (extraits : Nos. 3-5, 11, 16-20,

Irma Kolassi, mezzo-soprano
Odette Pigault, piano (Beethoven)
Henriette Puig-Roget, piano (Bartók)
Orchestre National de la Radiodiffusion française (Schönberg)
Hans Rosbaud, direction (Schönberg)
Un album du label Melism MLS-CD014
Acheter l’album sur le site www.ledisquaire.com, ou sur Amazon.fr

Photo à la une : La chanteuse Irma Kolassi, avec Igor Stravinski (début années 1960) – Photo : © DR