Entre l’enfance et l’adolescence, j’écoutais en boucle le Premier Impromptu de Chopin par Anne Queffélec, disque Erato dont j’ai usé plusieurs exemplaires. Quelle lumière pour moi qui n’y connaissait alors que Cortot et Samson François, quelle franchise des timbres, quelle élégance et quel feu en même temps.
Les Scherzos, emportés, joués avec fougue et précision me ravissaient tout autant. Le disque n’avait à ma connaissance jamais été réédité en CD. Recevant la belle boîte qu’Erato consacre enfin à cette artiste racée, je me suis précipité vers cette madeleine et l’émerveillement est revenu, intact.
Et si Anne Queffélec était le secret le mieux gardé du piano français ? Toujours présente mais discrète, enregistrant relativement peu mais uniquement des disques parfaits, la somme a du mal à paraître, dispersée hier entre Erato et Virgin, poursuivie chez Mirare, portant elle compose le portrait fidèle de cette styliste de haut vol.
Les albums de la jeune femme furent tous magnifiques : ce Chopin est à tomber, le disque Liszt, moins connu encore en surprendra plus d’un par l’autorité et la poésie (la Première Méphisto-Valse, les Jeux d’eau à la Villa d’Este, Feux follets), l’album princeps des Sonates de Scarlatti, qui lui n’a jamais quitté le catalogue, continue de briller par la grâce, l’esprit de la danse, l’élan des Bach reste incandescent, et le disque Schubert ouvre grâce à un admirable Bösendorfer la porte sur un autre univers sonore.
Ce piano clair mais ample était destiné à Ravel, le disque des Concertos est impérissable, le sol où elle disparait derrière les portées, un modèle, le main gauche, sulfure et étoiles, stupéfiant, écoutez l’ultime cadence !, et comme les Strasbourgeois jouent ! Elle va plus loin encore dans le doublé Miroirs–Tombeau de Couperin, pudique mais émouvant, quitte à rééditer les mêmes perfections pour l’intégrale chez Virgin plusieurs années plus tard.
Pioche heureuse, deux Concertos de Haydn avec Armin Jordan sont des enchantements, et le Triple de Beethoven aussi où la rejoignent Pierre Amoyal (avec lequel elle gravera des Sonates de Fauré si stylées) et Frédéric Lodéon, trio qui se retrouvera chez lui pour les Trios de Mendelssohn, alors peu courus au disque.
Et Debussy ? Avec la complicité d’Armin Jordan, elle inonde de lumière la Fantaisie, et réalise la quadrature du cercle avec une intégrale des Etudes transformées en autant de poèmes, avec l’écoute bienveillante de Catherine Collard.
Pourtant, depuis que j’ai reçu cette boite inespérée qu’agrémente un texte senti d’Alain Lompech, c’est aux deux disques des quatre mains de Schubert que je reviens toujours, l’accord avec Imogen Cooper est renversant par l’émotion, il faudra que vous cherchiez leur disque Mozart ailleurs.
Vous pourrez tenter l’expérience de ses Satie lumineux, évident, comme du très beau disque Dutilleux avec peut-être la plus impeccable version de la Sonate jamais enregistrée.
Mais refermant l’album, un manque me taraude. Pas de Mozart. Un piano si délié, si lumineux qui, on le sait par le concert, est chez lui dans les concertos, devrait les enregistrer tous (comme le devrait d’ailleurs aussi Michel Dalberto !). Si René Martin nous lit ?
LE DISQUE DU JOUR
Anne Queffélec
The Complete Erato (and Virgin) Recordings
Œuvres de Johann Sebastian Bach, Ludwig van Beethoven, Frédéric Chopin, Claude Debussy, Henri Dutilleux, Gabriel Fauré, Joseph Haydn, Johann Nepomuk Hummel, Franz Liszt, Felix Mendelssohn-Bartholdy, Francis Poulenc, Maurice Ravel, Erik Satie, Domenico Scarlatti, Franz Schubert
Anne Queffélec, piano
Imogen Cooper, piano
Michel Dalberto, piano
Pascal Devoyon, piano
Jacques Gauthier, piano
Jean-Bernard Pommier, piano
Catherine Collard, piano
Christian Ivaldi, piano
Pierre Amoyal, violon
Frédéric Lodéon, violoncelle
Orchestre Philharmonique de Strasbourg
Orchestre National de l’Opéra de Monte-Carlo
Orchestre de chambre de Lausanne
Orchestre de chambre Jean-François Paillard
City of London Sinfonia
Alain Lombard, direction
Armin Jordan, direction
Jean-François Paillard, direction
Richard Hickox, direction
Un coffret de 21 CD album du label Erato 0190295542788
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Photo à la une : © DR