Le Poème de l’amour et de la mer traîne derrière lui une tradition du vague, du triste, de l’esseulé, que Victoria de Los Angeles, Nedda Casei ou Irma Kolassi auront secouée à force de dire les mots alors que tant de mezzo les auront noyés dans le tragique. Affaire de timbre aussi, les trois pré-citées éclaircissaient leurs voix (même Kolassi), faisant entendre les rythmes des poèmes de Maurice Bouchor ; affaire d’orchestre aussi, et aucune ne fut vraiment aidée dans ce domaine.
Véronique Gens, elle, a cette chance : l’orchestre très mobile que lui règle Alexandre Bloch fait entendre toutes les subtilités qu’y a mises Chausson, fluide, précis dans le souple ; cette liane porte et entoure la voix ardente de la soprano, qui anime chaque mot, emporte chaque élan, distille comme l’orchestre une lumière dont l’œuvre est souvent privée.
Éclairé par ces émotions, le tragique pourra paraître sans emphase, l’amer se distiller dans des étouffements, des feulements : lorsque l’œuvre vire au sombre, n’est-ce pas l’étrangeté d’abîmes que Schönberg mettait dans son Pelleas und Melisande qui s’invite soudain ?
Pour ce Poème magnifique, le disque serait absolument gagnant, la Symphonie qui lui fait suite n’est pas absolument de la même eau – Frederick Stock, Dmitri Mitropoulos, Charles Munch, Pierre Monteux, Paul Paray auront parlé ici avec une autre intensité – mais du moins donne-t-elle tout à entendre de cette partition complexe, où Claude Debussy semble sourdre de l’ombre de César Franck.
LE DISQUE DU JOUR
Ernest Chausson (1855-1899)
Poème de l’amour et de la mer, Op. 19
Symphonie en si bémol majeur, Op. 20
Véronique Gens, soprano
Orchestre National de Lille
Alexandre Bloch, direction
Un album du label Alpha Classics 441
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Photo à la une : la soprano Véronique Gens – Photo : © DR