Rudolf Serkin aura convaincu CBS d’enregistrer ce vaste concerto alors que plus personne ne le jouait – on était en 1959 – sinon Eduard Erdmann et Erik Then-Berg en Allemagne. L’oeuvre était quasiment inconnue aux Etats-Unis, mais pour Serkin, Reger méritait un apôtre.
Cette immense partition, chef-d’œuvre absolu, ne se livre pas aisément : elle a connu avec l’avènement du CD une certaine renaissance : Steven De Groote eu le temps de l’enregistrer avec Michael Gielen, Love Derwinger, Ulrich Urban, Amadeus Webersinke, Gerhard Oppitz, Barry Douglas, Marc-André Hamelin suivirent, jusqu’à ce que Michael Korstick en signe une interprétation probablement définitive, éclairant cette musique de ténèbres de son vaste clavier.
Je me demandais bien si un jour Markus Becker, génial musicien qui s’est fait l’apôtre de tout le piano de Reger au disque (Serkin l’aurait béni) y viendrait : l’y voici, et c’est admirable de tension, de rumeur, d’introspection, et d’autant plus remarquable qu’enregistré dans le feu du concert.
L’Allegro moderato, traversé par ces orages qui ne veulent se résoudre, avec ces cieux qui pleurent, me crucifie, si sombre jusque dans le thème de choral en accords qui voudrait danser (et que Michael Korstick faisait danser). Ici, tout y irrémédiable, en quête d’un absolu, aucun pianiste n’y aura été si proche des intentions de Serkin, et comme l’Orchestre de la NDR, mené avec lyrisme par l’excellent Joshua Weilerstein, assiste son soliste !
La prière du Largo, comme écrite dans le souvenir du mouvement médian du 4e Concerto de Beethoven, atteint à un apaisement hors du temps, pour tout dire bouleversant. La danse du Finale, ses carrures menaçantes, son ton caustique derrière un panache quasi baroque que Brahms n’eut pas désavoué, est inouïe.
En complément, quelques pièces des Episodes Op. 115 et une extraite des Feuillets perdus Op. 113, retour vers l’éden de œuvres pour piano seul par celui qui en connaît chaque détour. À placer dans votre discothèque au côté de la version de Michael Korstick.
LE DISQUE DU JOUR
Max Reger (1873-1916)
Concerto pour piano et orchestre en fa mineur,
Op. 114
8 Episoden, Op. 115
(5 extraits : I. Andante, II. Andantino con moto, III. Allegretto, IV. Andante sostenuto, V. Larghetto)
Choral (No. 12, extrait
du recueil « Lose Blaetter,
Op. 13 »)
Markus Becker, piano
NDR Philharmonie
Joshua Weilerstein, direction
Un album du label CAvi-Music 8553306
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Photo à la une : le pianiste Markus Becker – Photo : © DR