Lorsque je demandais à Ruggero Gerlin qui parmi ses élèves lui tenait à cœur, il me répondit du tac au tac : Władysław Kłosiewicz. Voyant mon étonnement, il sortit son stylo-plume et me nota le patronyme de ce claveciniste sur une page de son petit calepin. Je rangeais la page dans mon portefeuille, l’oubliais, jusqu’à ce que je me demandais qui pouvait jouer cette version solaire des Variations Goldberg que j’entendais radiodiffusée par la RAI lors d’un voyage en voiture. Alors que j’entrais dans Ferrare, le présentateur désannonça « Władysław Kłosiewicz ». Disque introuvable, une fois de plus, j’oubliais.
Comme je pestais dans mes billets de Discophilia sur l’absence des rééditions des intégrales de l’œuvre de clavecin de François Couperin signées Scott Ross, Kenneth Gilbert, Blandine Verlet et Ruggero Gerlin (c’est à se demander à quoi servent les anniversaires…), Maciej Chiżyński me signala l’existence d’une intégrale réalisée par la Radio Polonaise entre 1993 et 1996.
La recevant, j’herborise dans le Deuxième Livre : quel caractère, quel allant, quelle verdeur, quel sens du mouvement !, qui me font songer justement aux portraits puissants, au jeu altier qu’y osait Ruggero Gerlin dans son intégrale pour L’Oiseau-Lyre (qui soit dit en passant fut le première). Et soudain ! la mémoire me revint !
Pardon pour cette longue histoire, mais le préambule valait la peine, qui explique à quel point le Couperin de Władysław Kłosiewicz est formé dans un style que les clavecinistes ont oublié pour l’interprétation de ce corpus essentiel : Ruggero Gerlin tenait son art de Wanda Landowska, Władysław Kłosiewicz met autant de feu, de danse, de caractère à son Couperin que ne le fit sa compatriote.
Mais il sait aussi saisir les demi-teintes, sonder la profondeur des portraits psychologiques, allant parfois jusqu’à une simplicité très Chardin. L’exactitude du sentiment se rencontre à chaque page. Si les quatre Livres sont également réussis, le difficile Troisième, avec son théâtre de l’intime, ses « bergeries », ses Ordres à mystères trouvent sous ses doigts une sorte d’aération miraculeuse, tout en finesse, le Blanchet d’après Neupert rayonnant avec une grâce certaine
Entrez donc dans le Couperin de Władysław Kłosiewicz ici, commencez par le Quinzième Ordre et ses musettes qui s’habillent de vièle, de violon et de flûte : tout un tendre théâtre vous invite.
Et si demain Kłosiewicz nous gravait son Rameau ?
LE DISQUE DU JOUR
François Couperin
(1668-1733)
L’œuvre pour clavecin (Intégrale)
Władysław Kłosiewicz, clavecin
Un coffret de 13 CD du label DUX (Polskie Radio) PRCD1575-1587
Photo à la une : le claveciniste Władysław Kłosiewicz – Photo : © DR