Ravel rubato

Le style Ravel, qui ne veut pas que le métronome bouge, qui choisit le rectiligne et le fluide pour atteindre à un idéal classique, est celui que nous avons tous appris avec les disques de Marcelle Meyer ou de Robert Casadesus. Mais il y a un autre Ravel, celui des suspensions, des divagations, de l’exaltation fantasmagorique qui poétise dans Miroirs ou tombe le masque dans Scarbo.

L’intégrale du piano deux mains de Maurice Ravel que Gordon Fergus-Thompson enregistra pour ASV en 1990 n’a connu de réelle fortune qu’en Angleterre : les oreilles françaises ne pouvaient comprendre ses Valses nobles et sentimentales pleine d’interrogations, de repentirs, où plus d’une fois il arrête le temps. Rien de narcissique pourtant dans ce beau son qui ne s’écoute jamais et poudroie Ondine, la « debussyse », mais bien cette inquiétude nocturne, part essentielle de l’âme ravélienne dont le Concerto pour la main gauche sera l’ultime proclamation.

Les rubatos du pianiste vont, contre nos habitudes, au plus profond de la lyrique ravélienne, changent notre écoute et trouvent d’évidence le côté sombre d’un Tombeau de Couperin mémorable pour l’émotion sans que jamais l’élégance ne soit oubliée. Clou de l’album, des Miroirs joués comme des évocations, avec malaise et splendeur, quasi baudelairiens.

Magnifique album qu’il est enfin temps de connaître en abandonnant tout préjugé.

LE DISQUE DU JOUR

Maurice Ravel (1875-1918)
L’Œuvre pour piano seul (Intégrale)

Gordon Fergus-Thompson, piano

Un album de 2 CD du label Decca 4839041 (Collection Eloquence Australia)
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Photo à la une : le pianiste Gordon Fergus-Thompson – Photo : © Royal College of Music