Programme étrange. Pour ce qui fut en 2016 leur premier opus à quatre mains, Herbert Schuch et Gülru Ensari contrastaient une savante alternance des Valses de Brahms et de Hindemith avec le grand geste du Sacre du printemps, comme Stravinski l’aura noté pour le clavier, drastique, parfait, implacable.
Entre les Valses de Brahms, heureuses sans ironie, et celles de Hindemith, heureuses parce qu’ironiques (et il faut bien que je l’avoue assez géniales jusque dans leurs caresses harmoniques à la Reger), le mariage est idéal, et les quatre mains de nos amis y prennent tout le plaisir qu’ils peuvent.
Cette alternance fonctionne à merveille, leur dolce impondérable, les couleurs en éventail, toute une certaine nostalgie, celle d’un monde disparu s’en dégage, admirablement montrée avec des repentirs, des regrets, une poésie de clavier qui m’évoquent Radu Lupu.
Mais place au nouveau monde : les deux Danses anatoliennes d’Özkan Manav nous transportent dans un autre monde, il y a comme des échos de la Transylvanie de Bartók dans ces ostinatos parfaits dont les empilements harmoniques provoquent l’irrépressible tourbillon.
Le « grand œuvre » peut venir. Le Sacre du printemps réduit dans l’espace d’un piano s’y sera-t-il jamais incarné autant qu’un orchestre le put ? La diversité des timbres, le chant des couleurs, l’abrupte des percussions si précisément retrouvés ne seraient pourtant rien sans l’implacable récit du ballet qui emporte les épisodes comme dans un cauchemar. Ce piano athlète qui danse, fait saillir ses angles, hurle et s’effraye est à lui seul le manifeste d’un nouveau monde incarné jusqu’à la terreur par ces deux pianistes géniaux qui osent ici ce que personne n’avait osé : préparer leurs instruments. Ecoutez seulement la section centrale de la Danse de la terre. Disque génial.
LE DISQUE DU JOUR
Johannes Brahms
(1833-1897)
Valses, Op. 39 (12 extraits :
Nos. 1, 2, 11, 3, 4, 5, 7, 6, 8, 10, 13, 14)
Paul Hindemith (1895-1963)
8 Valses, Op. 6 (Drei wunderschöne Mädchen im Schwarzwald)
Özkan Manav (né en 1967)
2 Danses anatoliennes
Igor Stravinski (1882-1971)
Le Sacre du printemps
Gülru Ensari, piano
Herbert Schuch, piano
Un album du label CAvi-Music LC15080
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Photo à la une : les pianistes Gülru Ensari et Herbert Schuch –
Photo : © DR