William Steinberg finira-t-il par compter au nombre des grands chefs mahlériens historiques ? Auteur d’une Titan anthologique que l’on rapprocha aux Etats-Unis pour la cursivité, l’élégance incisive, de celle que Dmitri Mitropoulos grava à Minneapolis, le disque le préféra pourtant dans Beethoven, Brahms, Richard Strauss, et longtemps le concert aussi.
Mais voilà, dès que Steinberg revenait en Europe, Mahler s’inscrivait à ses programmes, une spectaculaire Résurrection à Cologne récemment dévoilée (ICA) en témoigne. Finalement, ce sera lors de son automne bostonien qu’il imposera son Mahler auprès des mélomanes américains : Mitropoulos, Reiner, et Walter n’étaient plus, Szell venait de disparaître, Leonard Bernstein s’était fait le nouvel apôtre, mais à Boston, Steinberg disposait d’un orchestre somptueux, Munch s’était essayé à l’Adagio de la 10e, et au disque avait accompagné Forrester dans les Lieder eines fahrenden Gesellen, les Kindertotenlieder surtout, Leinsdorf qui huit ans plus tôt lui avait ravi le magister du Boston Symphony avait gravé pour RCA quelques symphonies (dont une mémorable 6e).
La clarté voluptueuse des timbres des Bostoniens, leur quatuor opulent, leurs bois virtuoses offraient un écrin quasi trop somptueux pour le Mahler qu’entendait Steinberg, il lui fallut régler la sonorité, travailler les dynamiques, et surtout transfuser ce ton passionné, cette ardeur expressionniste, ce son Seconde Ecole de Vienne si européen, si peu américain.
Le 2 janvier 1970, il délivrait un étourdissant Chant de la Terre, offrant à Maureen Forrester, que Szell (au concert) et Reiner (au disque) avaient corsetée, une fantaisie lyrique, des accents amoroso, une palette de nuances et de couleurs, des rythmes soutenus où enfin son contralto pouvait trouver partout l’émotion : à eux deux, ils font un Abschied digne de regarder droit dans les yeux celui de Kathleen Ferrier et Bruno Walter, retrouvant les sfumatos magiques, la nostalgie mortifère, la grande marche impavide, terrible, les « ewig » infinis.
Et pour les lieder de ténor, puisque Wunderlich n’était plus, un Tristan, Jon Vickers, enivré et enivrant, âpre et poétique, unique et porté ici par un incendie d’orchestre que Sir Colin Davis, admirable pour d’autres raisons, ne lui trouva ni au disque ni au concert.
Merveille enfin révélée, en attendant qu’Yves St-Laurent publie un autre témoignage de l’art mahlérien de Steinberg, également à Boston, une 7e Symphonie qui produira dans la discographie mahlérienne un séisme de même magnitude.
LE DISQUE DU JOUR
Gustav Mahler (1860-1911)
Das Lied von der Erde
Jon Vickers, ténor
Maureen Forrester,
mezzo-soprano
Boston Symphony Orchestra
William Steinberg, direction
Enregistré le 2 janvier 1970
Un album du label St-Laurent Studio YSL-T880 (Edition William Steinberg, Vol. 7)
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Photo à la une : le chef d’orchestre William Steinberg – Photo : © DR