Janet Baker, Aafje Heynis (pour les seuls initiés), Yvonne Minton, Bernadette Greevy, Alice Coote, il faut que j’ajoute maintenant à ce quintette Marie-Nicole Lemieux : le cycle d’Elgar est une perle, qui demande des attentions toutes particulières : le timbre de la chanteuse doit se fondre dans l’océan des cordes, le haut medium se dorer d’une nostalgie, les mots doivent toujours être à fleur de voix, comme flottant, parfums de couleurs.
Les grandes mezzos et les contraltos d’obédience britannique s’y sont toutes risqué depuis Clara Butt, sinon Kathleen Ferrier dont le timbre était peut-être trop grave, mais elle voulait y venir, y serait venue si le temps le lui avait permis. Marie-Nicole Lemieux a tout, le timbre glorieux, la voix longue (et assez mobile pour les ondulations de Where Corals Lie), la nostalgie en sfumato qui doit plomber Sea Slumber Song, et aussi l’héroïsme edwardien, l’autorité qui donne à Sabbath Morning at Sea tout son sens, vraie musique d’époque que je n’avais plus entendue ainsi depuis des lustres. The Swimmer peut venir, avec ses embruns, ses vagues venteuses, Paul Daniel et ses Bordelais, admirables depuis l’introduction mystérieuse de Sea Slmuber Song, lui feront l’océan assez tempétueux pour qu’elle triomphe avec éclat, et comme ses mots sonnent !
De telles Sea Pictures suffiraient à rendre ce disque immortel, mais le Poème de l’amour et de la mer, retrouvant un vrai mezzo comme il n’en avait plus connu depuis Kolassi, Baker ou Nedda Casei, et un français que Baker autant de bonne volonté qu’elle fut ne pouvait pas, des paysages désolés de tendresse, une effusion lyrique délicieuse. C’est tout un art de la mélodie française qui revit ici, et dans le plus bel accompagnement dont ait jamais bénéficié ce triptyque.
Ajout intelligent, l’ode Symphonique La Mer de Joncières pleine d’atmosphères, tombée aux oubliettes alors que les wagnériennes l’ont longtemps fêtée, donnera envie à ceux qui ne connaissent rien de ce beau compositeur d’aller fouiller son catalogue. Lemieux y est prodigieuse de diction, d’accent, de présence simplement, et quel orchestrateur : écoutez la tempête.
En découvrant cette œuvre perdue, je me dis que Rita Gorr y eut été fabuleuse, Marie-Nicole Lemieux l’évoque de ses aigus dardés, Paul Daniel donnant de l’élan et à un orchestre et à un chœur qui se souviennent de Berlioz. Et pour ceux que ces pages auront harponnés, qu’ils écoutent Dimitri, que le Palazzetto avait révélé voici quelques années : tout sauf un compositeur mineur, un vrai talent.
LE DISQUE DU JOUR
Mer(s)
Sir Edward Elgar (1857-1934)
Sea Pictures, Op. 37
Ernest Chausson (1855-1899)
Poème de l’amour et de la mer, Op. 19
Victorin Joncières
(1839-1903)
La Mer
Marie-Nicole Lemieux, contralto
Chœur de l’Opéra National de Bordeaux
Orchestre National Bordeaux Aquitaine
Paul Daniel, direction
Un album du label Erato 19029542433
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Philippe Talbot,
ténor (Dimitri)
Gabrielle Philiponet, soprano (Marina)
Nora Gubisch,
mezzo-soprano (Marpha)
Andrew Foster-Williams, baryton-basse (Le Comte de Lusace)
Jennifer Borghi, soprano (Vanda)
Nicolas Courjal, basse (L’Archevêque Job)
Julien Véronèse, baryton-basse (Le Prieur)
Jean Teitgen, basse (Le Roi de Pologne)
Joris Derder, baryton (Le chef des Bohémiens, Un Officier)
Lore Binon, soprano (Une Dame d’honneur)
Choeur de la Radio flamande
Choeur d’enfants de l’Opéra de Flandre
Phiharmonique de Bruxelles
Hervé Niquet, direction
Un livre-disque de 2 CD du label Palazzetto Bru Zane/Ediciones Singulares ES1015
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Photo à la une : la contralto Marie-Nicole Lemieux – Photo : © DR