Horszowski chez lui

18 octobre 1963, Mieczysław Horszowski choisit pour son concert à Katowice l’un des vrais concertos tragiques de Mozart, le ré mineur, époque oblige. Jan Krenz le dirige coupant, précis, comme à l’encontre de tout ce que l’on croit savoir d’Horszowski le poète.

Le pianiste le suit, jouant farouchement sans que la beauté naturelle, en fait inévitable, de sa sonorité si équilibrée, si fine, s’en trouve changée. Mais les accords tonnent, l’orchestre joue sombre et net, le piano s’envole avec des sonorités de célesta et soudain cette furia qui paraît et emporte tout, comme dans l’apogée du Finale. Soudain un Dieu excède ce piano si stylé pour l’emmener ailleurs. Rudolf Serkin en concert prenait lui aussi feu parfois dans les Concertos de Mozart comme cela, soudain, et transportait le public ailleurs.

Evidemment, en 1963, à peu près l’année où Horszowski commença à penser qu’il jouait mieux qu’avant – à soixante-dix ans ! – le son est encore en plénitude. Vingt-et-un ans plus tard (6 mai 1984, National Philharmonic Hall, Varsovie), le grand âge venu, il s’est quintessencié. Les doigts sont encore là, la Partita en ut mineur le dit assez, si exacte, si pesée, si tranquillement impérieuse : ce piano prendra son temps car il a à dire. Mais la sonorité est si belle, l’équilibre des polyphonies si simple, que ce sont eux qu’on écoute d’abord jusque dans ce staccato qui est le contraire de celui de Gould : un staccato qui lie.

La Sonate de Mozart est jouée comme pour lui seul ; raretés sous ses doigts, un bouquet de Mazurkas de Szymanowski sonne comme de la musique expérimentale.

Et la Troisième Sonate de Chopin ? Sa déclamation initiale lui est un peu un défi, il la maîtrise en prenant son temps, quelques notes tomberont sous le clavier, mais pas le chant, pas les nuages noirs qui roulent à la main gauche. On le suit pas à pas au long de l’œuvre, il dit tant, et tellement plus que tant d’autres.

Deux de ses bis chéris (Träumerei de Schumann, puis « La fileuse » de Mendelssohn) pour clore le rêve et voilà…

Un concert d’inédits (en CD) d’Horszowski, un petit miracle.

LE DISQUE DU JOUR


Mieczysław Horszowski
in Poland

Wolfgang Amadeus Mozart (1756-1791)
Concerto pour piano et orchestre No. 20 en ré mineur, KV 466
Sonate pour clavier No. 17 en si bémol majeur, KV 570
Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Partita pour clavier No. 2 en ut mineur, BWV 826
Karol Szymanowski (1882-1937)
20 Mazurkas, Op. 50 (4 extraits : XIII. Moderato – XIV. Animato – XV. Allegretto dolce – XVI. Allegramente)
Frédéric Chopin (1810-1849)
Sonate pour piano No. 3 en si mineur, Op. 58
Robert Schumann (1810-1856)
Träumerei (No. 7, extrait des “Kinderszenen, Op. 15“)
Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847)
Presto, « La Fileuse » (No. 4, extrait des « Lieder ohne Worte, Volume VI, Op. 67 »)
+ retranscription d’un entretien avec le pianiste donné le 7 mai 1984 avec Anna Skulska

Mieczysław Horszowski, piano
Orchestre Symphonique de la Radio de Katowice
Jan Krenz, direction

Un album de 2 CD du label Polskie Radio PRCD 2234-35

Photo à la une : les pianistes Anton Kuerti et Mieczysław Horszowski, en 1980 – Photo : © DR