Le cycle, capté somptueusement par les techniciens du son est-allemands au long des années soixante-dix aura toujours une diffusion peu empressée à l’Ouest : Philips avait déjà Haitink et son Concertgebouw, mais enfin la collaboration avec la VEB devait être honorée.
Kurt Masur regardait ces soucis doublement politiques avec un certaine distance, comme il me le confia lors d’un déjeuner alors qu’il s’apprêtait à assister, ravi, à une apparition de sa fille cantatrice sur la scène du Capitole de Toulouse : « je voulais enregistrer toute l’œuvre d’orchestre de Brahms, commencer par les symphonies n’étaient pas un mauvais début ».
D’autant qu’il avait pour lui le Gewandhaus de Leipzig qui parlait la langue de Brahms avec un naturel que seul l’Orchestre de la NDR de Hambourg pouvait lui contester. Du reste les gestes sans emphase, fluides, le sens des paysages sonores, et l’acceptation d’une certaine tradition déployés par Hans Schmidt-Isserstedt à Hambourg n’étaient pas indifférents à la manière svelte, au grand rai de lumières que Kurt Masur entendait bien employer pour illuminer « son » Brahms.
Je l’avoue, le cycle est magnifique, c’est une de mes intégrales préférées des Symphonies de Brahms (avec les Ouvertures fortement caractérisées et des Variations Haydn de gourmet), Masur y ajoute, fait surprenant chez lui qui ne toucha guère à la Seconde Ecole de Vienne, hélas !, le sentiment que cette musique regarde vers l’avenir.
L’intégrale des Symphonies bouclées, il fut toujours prêt à revenir chez Brahms pour Philips, les Concertos suivirent : celui pour violon admirablement classique avec Accardo, alors que le Double est d’un lyrisme absolu, emporté par les humeurs ténébreuses d’Heinrich Schiff, génial ; ceux pour piano, mi-figue mi-raisin, Misha Dichter remboursant sa main gauche discrète par le lyrisme généreux de sa main droite.
Les Sérénades, délicieuses, pleines de surprises sont des merveilles, comme les Danses hongroises, lestes, poétiques avant tout. Kurt Masur reviendra aux Symphonies à New York, les comparaisons sont fascinantes, mais d’avoir tout le cycle enfin réuni, et édité avec un tel soin, est une aubaine, qu’on complètera en cherchant chez Berlin Classics le Deuxième Concerto avec Cécile Ousset, gravure anthologique qui n’aurait pas déparé cet ensemble – une licence eut suffi.
LE DISQUE DU JOUR
Johannes Brahms
(1833-1897)
Symphonie No. 1 en ut mineur, Op. 68
Variations sur un thème de Haydn, Op. 56a
Symphonie No. 2 en ré majeur, Op. 73
Symphonie No. 3 en fa majeur, Op. 90
Symphonie No. 4 en mi mineur, Op. 98
Ouverture pour une fête académique, Op. 80
Ouverture tragique, Op. 81
Concerto pour violon et orchestre en ré majeur, Op. 77
Concerto pour violon, violoncelle et orchestre en la mineur, Op. 102
Concerto pour piano et orchestre No. 1 en ré mineur, Op. 15
Concerto pour piano et orchestre No. 2 en si bémol majeur, Op. 83
Sérénade No. 1 en ré majeur, Op. 11
Sérénade No. 2 en la majeur, Op. 16
Danses hongroises, WoO 1
Salvatore Accardo, violon
Heinrich Schiff, violoncelle
Misha Dichter, piano
Gewandhausorchester Leipzig
Kurt Masur, direction
Un coffret de 8 CD du label Decca 4840144 (Collection Eloquence Australie)
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Photo à la une : le chef d’orchestre Kurt Masur, avec la violoniste Midori – Photo : © DR