Ce n’est l’opus le plus couru de Bartók. Jeune homme, il y est pourtant tout entier, geste immense qui parcourt une nuit de sons inquiets ou flamboyants. Ce feu sombre qui anime le vaste Quintette de 1904, comme déduit de celui de Brahms, où l’ombre de Mahler passe dans la mélodie infinie de l’Adagio, commencé par cet appel impérieux avant que le piano n’esquisse cette nuit de brouillard, où dans la profondeur moirée des harmonies les plus sourdes pleurent des doïnas roumaines, s’esquissent des danses tziganes, c’est peu dire que les cinq amis le donnent à entendre.
La puissance singulière de leur interprétation transfigure cette musique de l’étrange où Bartók flirte avec la Seconde Ecole de Vienne, le piano d’Alexander Lonquich peignant un paysage où tous chantent avec une sombre ardeur, que ce soient les violons de Vilde Frang et de Barnabás Kelemen, l’alto aux incroyables couleurs de clarinette de Katalin Kokas, ou le violoncelle Barbe-bleue de Nicolas Altstaedt.
Avec le Trio à cordes de Sándor Veress, Vilde Frang, Lawrence Power et Nicolas Altstaedt ont franchi le miroir. En 1954, ce génie signait là un de ses chefs-d’œuvre, musiques où le passé survit comme un cortège de fantômes, thèmes tziganes, danses danubiennes, paysages de plaines infinies où des orages ravagent le ciel, musique qui se souvient du monde d’hier, de celui de Bartók et d’Enesco, et l’incarne dans une Europe corsetée par la Guerre Froide.
Album d’une sombre splendeur, venu à point pour illustrer la renaissance du Festival de Lockenhaus inventé par Gidon Kremer.
LE DISQUE DU JOUR
Sándor Veress (1907-1992)
Trio à cordes
Béla Bartók (1881-1945)
Quintette pour piano et cordes en ut majeur, Sz. 23
Vilde Frang, violon
Barnabás Kelemen, violon (Bartók)
Lawrence Power, alto (Veress)
Katalin Kokas, alto (Bartók)
Nicolas Altstaedt, violoncelle
Alexander Lonquich, piano (Bartók)
Un album du label Alpha 458
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Photo à la une : l’altiste Lawrence Power, la violoniste Vilde Frang et le violoncelliste Nicolas Altstaedt – Photo : © DR