Un jeu de gamelan immobile, répétitif, hypnotique, fait rêver le deux pianos placés l’un en face de l’autre, une petite accroche des vents, mordante comme une dent de serpent referme l’Allegro ma non troppo de la plus mystérieuse, de la plus insalissable des musiques jamais coulée de la plume de Francis Poulenc : ce Concerto pour deux pianos m’a accompagné depuis mon enfance, je l’écoutais à perte de vue, le compositeur et Jacques Février jouaient, Pierre Dervaux dirigeait, disque EMI pochette blanche lettrage multicolore. Depuis, peu ont su retrouver les chemins de cette œuvre où il y aussi du Mozart évidemment, une espagnolade, un 14 juillet et un Final fiévreux.
Mais le moment le plus sublime de cette partition qui ne renonce à rien est bien ces quelques mesures où un gamelan résonne, hiératique, mystérieux fascinant. Il ne faut pas y bouger, tout est dans la répétition parfaite, juste en dessous de la rectitude d’un mécanisme, dans tout cela les timbres doivent mettre pourtant un certaine dolence, l’idée d’une torpeur, puis cela cesse sans prévenir. Enfin je l’entends comme je le veux, avec ce petit côté Steve Reich, et par d’absolus inconnus de moi : Mischa Cheung et Yulia Miloslavskaya sont merveilleux aussi bien dans les ombres du Final, dans le chant nostalgique et heureux du Larghetto comme dans les épisodes si variés du premier mouvement, et ils réussissent avec une troublante poésie ce rêve de gamelan.
Le Giraud Ensemble Chamber Orchestra est net, coupant, fusant, d’une précision extrême, formation à géométrie variable que l’on retrouve dans une Symphonie classique de Prokofiev épatante – Sergey Simakov la dirige avec une ironie savoureuse – et dans le Concerto que Friedrich Gulda s’est écrit avec tant d’indulgence pour lui-même, partition oubliable pourtant défendue avec panache par Mischa Cheung, mais c’est à ce Poulenc saisissant que je reviens rêver.
LE DISQUE DU JOUR
Friedrich Gulda (1930-2000)
Concerto for Myself*
Sergei Prokofiev (1891-1953)
Symphonie No. 1 en ré majeur, Op. 25 « Classique »
Francis Poulenc (1899-1963)
Concerto pour deux pianos et orchestre en ré mineur, FP 61
*Mischa Cheung, piano
Yulia Miloslavskaya, piano
Giraud Ensemble Chamber Orchestra
Sergey Simakov, direction
Un album du label Solo Musica SM325
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Photo à la une : le compositeur Francis Poulenc – Photo : © DR