Moscou-Londres

Jolie idée d’herboriser dans le répertoire à deux pianos – plus abondant qu’il n’y paraît – des compositeurs russes de la fin du Romantisme. Rachmaninov aura définitivement marqué le genre, deux Suites et les Danses symphoniques auront suffi pour faire entrer tout son orchestre dans les deux pianos. Ludmila Berlinskaya et Arthur Ancelle choisissent la Deuxième Suite et la jouent justement très russe, à pleins claviers, savourant les teintes populaires de l’Alla Marcia, chantant avec une fantaisie un peu nostalgique les sections cantabile de la Valse (qu’ils jouent prestes comme jadis Vronsky et Babin, mais avec un son plus sombre, affaire de toucher), et conduisant la Romance comme un numéro de ballet. Ils avaient ouvert l’album avec les Deux Pièces, Op. 58 de Medtner, tourbillons de notes qui sont aussi des contes où le populaire se mêle au légendaire, il y faut tout un imaginaire qui rayonne sous leurs doigts.

La révélation du disque reste la grande Fantaisie de Glazounov, quasiment jamais enregistrée, où monte un cri de protestation contre les sévices des révolutionnaires. Glazounov l’écrivit au cœur de l’hiver 1919-1920, alors que la guerre civile faisait rage aux portes même du conservatoire de Saint-Pétersbourg dont il était encore le directeur. En son centre, un Scherzo de haute volée, à l’écriture serrée, au ton un rien fantasque, résume bien les ambigüités d’une partition que le compositeur songea un temps à orchestrer : le Finale s’annote de suggestions d’instrumentation.

J’avais eu à peine le temps d’entendre cet opus russe que revoilà mes deux pianistes cette fois en Albion. Le programme est fabuleux, qui réunit six œuvres sous le choix purement fantaisiste de trouver des compositeurs au patronyme en « b » (comme Britain) ayant écrit pour deux pianos.

Voyage décoiffant commencé dans les paysages de landes et de légendes d’Arnold Bax avec trois opus magiques (The Poisoned Fountain est fascinant, une autre Ondine ravélienne en quelque sorte), poursuivi chez Britten si disert en fantaisie au long des deux volets de son Opus 23, avant que ne paraisse le chef-d’œuvre inconnu qu’est le vaste Thème et Variations de York Bowen, compositeur visionnaire et concertiste de génie, le Busoni anglais rien moins. L’Op. 139 (1951) est son ultime œuvre pour deux pianos, lyrique, intense, superbement écrite pour faire sonner les instruments comme un seul monde.

Finir ce voyage Outre-Manche avec l’« easy listening » savoureux du Divertimento de Richard Rodney Bennett, de la samba glamour au rock stylisé du Finale en passant par un blues stylisé et une Valse ragtime délicieusement surannée, c’est promettre pour demain d’autres excursions anglaises, ce n’est pas le répertoire qui leur fera défaut.

Les notes de Boris Moukoseï dans l’un et l’autre album sont excellentes.

LE DISQUE DU JOUR

Russian Last Romantics

Nikolaï Medtner (1880-1951)
2 Pièces pour deux pianos,
Op. 58

Sergei Rachmaninov
(1873-1943)
Suite pour deux pianos No. 2, Op. 17
Alexander Glazounov
(1865-1936)
Fantaisie pour deux pianos, Op. 104

Ludmila Berlinskaya, piano
Arthur Ancelle, piano
Un album du label Melodiya MELCD1002562
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B like Britain

Arnold Bax (1883-1953)
Hardanger
The Poisoned Fountain
Moy Mell
(The Happy Plain)

Benjamin Britten (1913-1976)
2 Pieces, Op. 23 :
I. Introduction and Rondo alla Burlesca, II. Mazurka Elegiaca

York Bowen (1884-1961)
Theme and Variations, Op. 139
Richard Rodney Bennett (1936-2012)
Divertimento pour deux pianos

Ludmila Berlinskaya, piano
Arthur Ancelle, piano
Un album du label Melodiya MELCD1002565
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Photo à la une : les pianistes Arthur Ancelle et Ludmila Berlinskaya – Photo : © DR