Les Quatre Saisons, et après ? Durant les années soixante, Vivaldi fut révélé une première fois aux mélomanes du XXe siècle. Claudio Scimone, formé à Rossini, s’immergea non seulement dans tout ce qui avait pu être publié des œuvres du Prêtre Roux entre Venise, Vienne et Londres, mais alla fouiller les bibliothèques, dévoilant quantités de concertos.
Il fallait enregistrer tout cela. En 1959, l’élève de Franco Ferrara et de Dimitri Mitropoulos décida de fonder un ensemble dévolu à la cause : I Solisti Veneti. Ils trouvèrent un éditeur parfait, Michel Garcin, qui leur ouvrit grandes les portes d’Erato. Une série fabuleuse, thésaurisée à grande échelle par les mélomanes français, imposa soudain Vivaldi face à Bach ou Haendel, Jean-Pierre Rampal inaugurant cette saga qui se prolongera jusqu’aux années 1980 avec un microsillon de Concertos qui fit des ravages.
On retrouve cette Tempesta di mare dans la grande anthologie que réédite aujourd’hui Warner. Bravo à ces seize CDS, mais je ne peux m’empêcher de regretter que l’éditeur n’ait pas conduit l’hommage jusqu’à l’intégrale absolue comme il vient de le faire pour tout le legs de Jean-François Paillard. Passons, pour mieux s’immerger dans les couleurs fondues, belles comme celles de Tiepolo, de cet ensemble parfait, si plein de musiques éloquentes, porté par des phrasés vocaux qui soulignent combien la musique de Vivaldi est toujours proche des résonnances de la voix humaine. La beauté des prises de son replace cet univers poétique dans les acoustiques des églises vénitiennes, et ce n’est pas rien : tout rayonne. Les instruments anciens se sont depuis imposés ici, pas assez pour rendre désuet le geste si musical, si évident, de Claudio Scimone et de ses amis.
Depuis, la cause Vivaldi est entendue, une seconde révolution (aussi initié par Scimone qui révéla Orlando furioso avec le casting fabuleux que l’on sait) l’aura sacré compositeur lyrique, la réévaluation est toujours en cours depuis que Naive exhume les manuscrits de la Bibliothèque de Turin.
Tous les airs et cantates assemblés par Ottavio Dantone pour Delphine Galou la servent à merveille. Son timbre androgyne, la finesse de ses harmoniques, l’élégance naturelle de ses phrasés et sa virtuosité discrète vont comme un gant à ces arias venues avant l’émerveillement napolitain : écoutez seulement « E pur dolce » tiré de Tito Manlio. Les trois cantates, surtout Cessate, omai cessate, chef-d’œuvre tardif, exigent plus de cette voix en soie, jusqu’à des affects qu’elle y ose.
En réponse à l’album profane, un album sacré me semble aller plus loin encore. Des raretés qui ne connaissent guère plus de quelques versions, et où pour les Introductions à un Miserere perdu, Delphine Galou doit se mesurer à Aafje Heynis. Elle n’y démérite pas, plus émue qu’émouvante pourtant, mais le modèle est trop parfait et simplement historique. Ailleurs, elle atteint une perfection aussi bien dans les élans dramatiques de certaines pages où Vivaldi fait entrer le théâtre à l’église, que dans les œuvres plus recueillies, Alessandro Giangrande mettant son ténor conquérant dans Deus tuorum militum.
Vivaldi est aussi le sujet mais surtout l’objet du disque de Jupiter, cette assemblée fantasque réunit par Thomas Dunford autour de son luth où paraît une pléiade de virtuoses de la jeune génération, de Jean Rondeau à Bruno Philippe en passant par le basson magique de Peter Whelan, très sollicité.
Perle absolue de ce disque beau comme l’intemporel, tout ce que Léa Desandre, mezzo somptueux, y chante, à commencer par le superbe « Gelido in ogni vena » tiré du Farnace où Vivaldi fait résonner le paysage de L’Hiver des Quatre saisons. Mais il faut aussi s’attarder aux dorures subtiles qu’elle met à un magique « Veni, veni me sequere fida » de la Juditha Triumphans avec son décor onirique de chalumeau et de luth.
Pour elle, pour l’écrin poétique qui l’environne, et même jusque dans la pièce en épilogue écrite par Thomas Dunford et ses amis sans rapport aucun avec l’univers lagunaire sinon vaguement par le titre « We are the Ocean. Each One a Drop ».
LE DISQUE DU JOUR
Antonio Vivaldi (1678-1741)
Concertos pour mandoline,
RV 532, 425, 558, 93
Concertos pour viola d’amore, RV 392-397, 540, 97
Concertos pour hautbois,
RV 64, 447, 452-454, 456, 457, 461, 463, 464
Concertos pour flûte, RV 427, 428, 433-435, 437-439
Concertos pour basson,
RV 488, 497, 498, 501, 503
Concerto pour deux trompettes, RV 537
Concerto pour deux cors, RV 539
Il cimento dell’armonia e dell’inventione, Op. 8
L’estro armonico, Op. 3
La stravaganza, Op. 4
La cetra, Op. 9
etc.
Ugo Orlandi, Dorina Frati, mandoline(s)
Nane Calabrese, viola d’amore
Piero Toso, Marco Fornaciari, Juan Carlos Rybin, violon(s)
Pierre Pierlot, Maurice Bourgue, hautbois
Jean-Pierre Rampal, flûte
Maurice Allard, basson
I Solisti Veneti
Claudio Scimone, direction
Un coffret de 16 CDs du label Erato 0190295402990
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Vivaldi Edition
Vol. 59 :
Musica sacra per alto
Antonio Vivaldi (1678-1741)
Filiae maestae Jerusalem,
RV 638
Hymnus Deus tuorum militum, RV 612
Concerto pour violon et cordes en ré majeur, RV 582 « Per la Santissima Assontione di Maria Vergine »
Salve Regina, RV 618
Introduzione al Miserere non in pratis
Regina coeli, RV 615
Delphine Galou, contralto
Alessandro Giangrande, ténor, contre-ténor
Alessandro Tampieri, violon
Accademia Bizantina
Ottavio Dantone, direction
Un album du label Naive Classique OP30569
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Vivaldi Edition
Vol. 60 : Arie e cantate
per contralto
Antonio Vivaldi (1678-1741)
Cessate, omai cessate, RV 684
O mie porpora più belle,
RV 685
Qual in pioggia dorata,
RV 686
Airs divers, extraits de “Tito Manlio”, “Tieteberga”, “La Candace o siano Li veri amici”, “La verità in cimento”, “Giustino”
Delphine Galou, contralto
Accademia Bizantina
Ottavio Dantone, direction
Un album du label Naive Classique OP30570
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Antonio Vivaldi (1678-1741)
Concerto pour basson et cordes en sol mineur, RV 495
Concerto pour violoncelle et cordes en sol mineur, RV 416
Concerto pour luth et cordes en ré majeur, RV 93
Airs divers, extraits de « Farnace”, « Juditha Triumphans », Giustino, L’Olimpiade, Griselda, et du « Nisi Dominus RV 608
Léa Desandre, mezzo-soprano
Peter Whelan, basson
Bruno Philippe, violoncelle
Jean Rondeau, clavecin, orgue
Jupiter
Thomas Dunford, luth, direction
Un album du label Alpha Classics 550
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Photo à la une : la mezzos-soprano Léa Desandre – Photo : © Julien Benhamou