Au centre de ce qui voudrait se faire passer pour un disque de bis (la pochette proclame « Encores », qui est ce que le public demande mais pas forcément ce que le pianiste accorde), Nelson Freire place douze Pièces lyriques de Grieg, merveilles ! Les couleurs fantaisistes, les doigts qui croquent les atmosphères et montrent des personnages, la saga et la romance, tout un monde qui est son monde, au fond pas si loin des portraits tendres, des anecdotes de clavier qu’on trouve aussi chez Villa-Lobos.
Allez, c’est entendu, le Brésil c’est le monde, et le piano de Nelson Freire, c’est l’univers. Si cette poignée de Grieg est impérissable, tout le reste du disque l’est autant, et vraiment le piano-couleurs de Nelson Freire s’y entend mieux que bien capté, présent ! Les Danses fantastiques de Chostakovitch n’ont jamais été jouées comme cela depuis le compositeur, l’Orphée de Gluck dans le décor de Sgambati n’a plus un gramme de kitsch et semble chanter de la scène, notes éloquentes et dolentes, Godowski s’efface derrière Strauss pour une Ständchen de chanteuse qui aurait fait se pâmer Arrau !
Et le Mompou, les deux presque-riens d’Albéniz (Tango décoré par Godowsky et Navarra où Séverac aura fait sa plume humble), le Rossignol des Goyescas, commencé comme une improvisation, très libre, et qui vous donne l’impression d’entendre Granados lui-même, le si beau Nocturne de Paderewski, tous et bien d’autres sacrent l’art d’un pianiste que l’Unesco devrait consacrer au patrimoine immatériel de l’Humanité.
La proposition de mettre en regard, sous l’argument du bref, douze Romances sans paroles de Mendelssohn et quatorze Pièces lyriques de Grieg, est plus attendue. Pourtant, Denis Kozhukhin les joue comme personne, abrasant son piano, choisissant toujours le caractère plutôt que la vignette, au point qu’à un moment, j’ai douté qu’il joue un piano moderne et j’en doute encore, la note technique de l’album ne disant rien de l’instrument.
Ce sens de l’harmonie, cette autorité dans les phrasés, les couleurs et les audaces des accents, le ton absolument romantique me rappellent ce que Robert Riefling produisait lorsqu’il jouait ce chef-d’œuvre méconnu que demeure la grande Sonate de Grieg.
Vous ne me croirez pas mais une telle éloquence ravive aussi les vignettes de Mendelssohn, enfin purgées du salon, comme croquées sur le vif, avec cette plénitude des timbres que Guiomar Novaes jadis y avait osée.*
LE DISQUE DU JOUR
Edvard Grieg (1843-1907)
Pièces lyriques, Livre I, Op. 12 (3 extraits : I. Arietta, II. Valse, V. Mélodie populaire)
Pièces lyriques, Livre II, Op. 38 (extrait : I. Berceuse)
Pièces lyriques, Livre III, Op.43 (3 extraits : II. Voyageur solitaire, IV. Petit oiseau, VI. Au printemps)
Pièces Lyriques, Livre IV, Op. 47 (extrait : IV. Halling)
Pièces Lyriques, Livre V, Op. 54 (extrait : I. Le petit pâtre)
Pièces Lyriques, Livre VIII, Op. 65 (extrait : VI. Jour de noces à Troldhaugen)
Pièces Lyriques, Livre IX, Op. 68 (extrait : III. À tes pieds, V. Au berceau)
Alexandre Scriabine (1872-1915)
Poème, Op. 32 No. 1
Sergei Rachmaninov (1873-1943)
Prélude en si mineur, Op. 32 No. 10
Prélude en sol dièse mineur, Op. 32 No. 12
Dimitri Chostakovitch (1906-1975)
3 Danses fantastiques, Op. 5
et aussi des :
Œuvres de Sgambati, Purcell, Scarlatti, Stojowski, Paderewski, R. Strauss, Rubinstein, Granados, Mompou, Albéniz
Nelson Freire, piano
Un album du label Decca 4850153
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Felix Mendelssohn-Bartholdy (1809-1847)
Lieder ohne Worte, Op. 19
(4 extraits : Nos. 1, 2, 3 & 5)
Lieder ohne Worte, Op. 30
(2 extraits : Nos. 2 & 6)
Lieder ohne Worte, Op. 38
(2 extraits : Nos. 2 & 6)
Lieder ohne Worte, Op. 62 (extrait : No. 3)
Lieder ohne Worte, Op. 67
(2 extraits : Nos. 2 & 4)
Lieder ohne Worte, Op. 102 (extrait : No. 3)
Edvard Grieg (1843-1907)
Pièces Lyriques, Livre I, Op. 12 (3 extraits : I. Arietta, II. Valse, IV. Danse des elfes)
Pièces Lyriques, Livre II, Op. 38 (2 extraits : IV. Danse, VI. Elégie)
Pièces Lyriques, Livre III, Op. 43 (3 extraits : I. Papillon, IV. Petit oiseau, VI. Au printemps)
Pièces Lyriques, Livre IV, Op. 47 (extrait : VII. Elégie)
Pièces Lyriques, Livre V, Op. 54 (3 extraits : III. Marche des Trolls, IV. Notturno, V. Scherzo)
Pièces Lyriques, Livre VII, Op. 62 (extrait : IV. Ruisseau)
Pièces Lyriques, Livre VIII, Op. 65 (extrait : VI. Jour de noces à Troldhaugen)
Denis Kozhukhin, piano
Un album du label Pentatone PTC5186734
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Photo à la une : le pianiste Nelson Freire – Photo : © Grégory Favre/Decca Classics