Les modernes

Disparu prématurément à quarante-trois ans, Jani Christou fut certainement le génie parmi les compositeurs de la nouvelle musique savante grecque de l’après-guerre, héritier tout à la fois de Mitropoulos et de Skalkottas. Le cycle de mélodies qu’il écrivit sur des poèmes de T.S. Eliot lors de son séjour romain en 1950 montre la puissance poétique de son inspiration, son goût de l’étrange, sa maîtrise virtuose du piano comme de la voix.

Le cycle se compléta peu à peu au long des années cinquante jusqu’à être orchestré en 1957, la version originale avec piano se révèle d’une puissance suggestive inouïe, écoutez seulement Eyes that Last I Saw in Tears, et son monde enténébré dans la voix funèbre d’Angelica Cathariou. Christou était sur le point de faire basculer son œuvre vers de nouveaux moyens, dont l’électroacoustique et la bande magnétique, ce que ne laissaient guère présumer le Prélude et Fugue de 1944, ostinato léger, fugue divergente, qui marquait pourtant déjà la singularité de son univers. Qui nous rendra ses Tongues of Fire que créèrent Irma Kolassi, Gerald English et Kostas Paskalis à l’English Bach Festival d’Oxford en 1964 ? La Radio grecque avait édité plusieurs disques illustrant notamment ses symphonies, j’aimerais les voir reparaître, ils permettraient de prendre la pleine mesure de son sombre génie.

L’autre part du disque est consacré à des œuvres rares de Míkis Theodorákis qui nous le montre en jeune homme, élève assidu de la classe d’Olivier Messiaen dont on peut lire l’empreinte dans les carillons de Passacailles où passe tout un théâtre antique parfois explosif (la seconde entrée de La Fête). Ce cycle inclassable est inspiré par l’Erofili de Chortatzis, célébrant un mythe crétois, Theodorakis le destinait à une chorégraphie ; les duos de piano feraient bien de s’approprier cet ensemble brillant, plein d’effets, d’une stupéfiante qualité d’écriture dont Nikolaos Samaltanos et Christophe Sirodeau exposent les âpres et mystérieuses splendeurs.

Les Eluard, double cycle de mélodies dédiées à la prêtresse parisienne du genre, Jane Bathori, sont fascinants par leur pudeur, leur simplicité éloquente, l’absence d’effets et la lyrique sombre qu’Angelica Cathariou sait trouver dans son timbre de moire. Theodorákis les a-t-il écrits pour Irma Kolassi ? Je ne le sais, mais l’ambitus est bien celui de la cantatrice grecque.

Album précieux.

LE DISQUE DU JOUR

Jani Christou (1926-1970)
Six T.S. Eliot Songs
Prélude et fugue en ré mineur pour deux pianos
Míkis Theodorákis (né en 1925)
Erofili – Passaccailles pour deux pianos
Les Quatre Eluard
Les Six Eluard

Angelina Cathariou, mezzo-soprano
Nikolaos Samaltanos, piano
Christophe Sirodeau, piano

Un album du label Melism MLS-CD-026
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Photo à la une : le compositeur Jani Christou – Photo : © DR