Lorsqu’André Jouve publia son édition critique de la Fantaisie de Debussy, les pianistes versés dans l’œuvre de l’auteur de la Suite bergamasque hésitèrent un rien à se l’approprier. Pourtant, dès 1951, Walter Gieseking l’avait enregistrée pour la Radio de Hesse d’après un facsimilé des manuscrits, dévoilant une partition somptueuse.
Puis finalement, Samson François s’y risqua sous la baguette expressive de Bruno Maderna, ouvrant la voie aux pianistes de la génération suivante, d’Aldo Ciccolini à Jean-Rodolphe Kars en passant par Fabienne Jacquinot. Je ne savais pas que Vlado Perlemuter lui aussi s’était laissé tenter discrètement, loin de Paris, l’enregistrant pour la Radio Bavaroise en 1968 avec l’Orchestre Symphonique de Bamberg sous la direction de George Hurst.
Quelle merveille surprise d’entendre son piano versicolore ébrouer avec une joie contagieuse les paysages venteux des trois mouvements de ce poème pour piano et orchestre où Debussy montre déjà tout son art de peintre, donnant au genre du piano concertant français le souffle nouveau qu’il attendait depuis les opus de Saint-Saëns, et prenant au mot la tentative de D’Indy avec sa Symphonie cévenole. Comme il y est en doigts, envolant son clavier, le parant de couleurs brillantes, sans jamais un accroc, preuve qu’il comptait bien la mettre à son mince répertoire concertant. Ironie du sort, il semble qu’on ne la lui ait pas redemandée.
Yves Saint-Laurent ajoute un merveilleux bouquet d’Etudes de Chopin en doigts effleurant, concert de timbres clos par une Barcarolle où l’élégance le dispute à la nostalgie. Que pouvait-il donc y avoir d’autre à cette session de 1959 pour la Radio française ?
Une année plus tôt, le récital Chopin qui ouvre le 6e volume de cette collection dédiée au pianiste français, est tout aussi parfait : un Troisième Scherzo emporté, une Quatrième Ballade rapide, subtilement dite dans un ton d’improvisation qui la rend grisante, une grande poignée de Préludes aux contrastes assumés, et pour finir ce Prélude en ut dièse mineur que Vlado Perlemuter offrait si volontiers en bis, où le son d’un piano magnifique semble ouvrir un paysage infini, merveille.
N’hésitez pas à vous procurer les autres volumes, ils présentent tous des enregistrements inédits.
LE DISQUE DU JOUR
Vlado Perlemuter Edition
Vol. 6
Frédéric Chopin (1810-1849)
Scherzo No. 3 en ut dièse mineur, Op. 39
24 Préludes, Op. 28
(10 extraits : Nos. 2, 4, 5, 12, 13, 14, 18, 20, 22, 23)
Ballade No. 4 en fa mineur,
Op. 52
Prélude en ut dièse mineur, Op. 45
12 Etudes, Op. 25 (4 extraits : Nos. 1, 2, 6, 12)
Barcarolle en fa dièse majeur, Op. 60
Claude Debussy (1862-1918)
Fantaisie pour piano et orchestre, L. 72
Vlado Perlemuter, piano
Orchestre Symphonique de Bamberg
George Hurst, direction
Un album du label St-Laurent Studio YSLT-840
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Photo à la une : le piano Vlado Perlemuter – Photo : © DR