Emile Naoumoff ouvre son disque Ravel avec ce qui est le secret de son art : une improvisation, un « à la manière de » où il se souvient de ce moment d’émotion pure qu’est le bref Prélude en la mineur ; Ravel y montre comme un regret. Quel pianiste !, quel musicien surtout qui sait que le commentaire, la paraphrase, le rapprochent de la vérité de l’original.
Son album Ravel, magiquement capté sur un instrument profond (il n’est pas noté dans la fiche technique, vergogna !) s’inscrit au sommet de sa discographie éparse, discontinue, que ses amoureux collationnent avec fanatisme, pas loin de son Oiseau de feu (Orfeo), de son Requiem de Fauré (Sony), dans cette proximité d’avec les œuvres qui le laisse voir pourtant, lui, ogre tranquille dont les grandes pattes griffent le clavier, l’envolent en couleurs et en parfums.
Pas un marteau dans ce piano d’ondes, qui met aux Valses plus nobles que sentimentales un orchestre plus poète que celui que Ravel y aura troussé. Quand l’interprète joue au compositeur, il le joue partout et d’abord dans cette révolution que sont les Miroirs : son Alborada morne a quelque chose de violent malgré elle, sérénade éperdue et vaine, dont le centre devient un poème d’orchestre, rumination profonde, amère : si l’on change le tempo, tournant le dos à la rectitude de Lipatti, autant le faire ainsi.
Sommet de ces Miroirs-nocturnes, la Barque, ou plutôt « l’idée de barque » autour de laquelle il tisse un ressac hypnotique qui annonce le glas tranquille, le carillon gamelan d’une Vallée des cloches absolument irréelle. Puis suit une Pavane belle comme du Fauré, vraie mélodie pour chanteuse et pourtant vrai tristesse de pianiste qui va s’inventer des pianissimos d’âme, avant que les drames de la Sonatine ne viennent mettre leurs ombres.
LE DISQUE DU JOUR
Emile Naoumoff (né en 1962)
Improvisation (Juillet 2017)
Maurice Ravel (1875-1937)
Valses nobles et sentimentales, M. 61
Miroirs, M. 43
Pavane pour une infante défunte, M. 19
Sonatine, M. 40
Emile Naoumoff, piano
Un album du label Melism MLS-CD-010
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Photo à la une : le pianiste Emile Naoumoff – Photo : © Jean-Baptiste Millot