Le programme d’abord : mettre en regard les trois Sonates de l’Opus 31 où Beethoven ouvre son atelier à tous les vents et ose sa première révolution de clavier, se prenant pour un peintre et un conteur tout à la fois, et les deux cahiers de Variations eux aussi de 1802, voilà une vraie dramaturgie.
Beethoven célèbre dans les unes comme dans les autres l’avènement d’un siècle nouveau qui sera le sien, et s’y autorise toutes les audaces.
Le plus beau est qu’Andreas Staier le prend au mot, saisissant sur le clavier nerveux de son Mathias Müller le ton vif, le grand vent impertinent qui ébroue la Seizième Sonate ou la fantaisie pleine d’humeurs, de traits saillants, de formules ironiques qui font tout le sel de la 18e Sonate où plus d’une fois l’esprit de Haydn est encensé avec une touche subtile.
Dans ces Sonates vives comme l’éclair, le clavier persiffleur du Mathias Müller se régale, et Andreas Staier le fait piaffer avec un plaisir physique contagieux qui est le secret même de l’art de Beethoven.
La vraie métamorphose s’opère pour La Tempête, dont les jeux de timbres, le sfumato irréel, les suspensions, convoquent un imaginaire poétique qui est d’abord celui de l’instrument, et Andreas Staier se laisse conduire par lui. La dimension picturale de l’œuvre jaillit littéralement du clavier, et je crois que personne n’avait saisi avec autant de finesse ce Turner de notes depuis Dino Ciani, qui, lui, devait se débrouiller d’un piano moderne pour évoquer les couleurs que le pianoforte dispense d’évidence.
Dans les deux cahiers de Variations et surtout dans les Eroica, la tête si bien faite d’Andreas Staier mâtine la clarté de l’intellect avec les foucades de l’humeur, ses doigts suscitant plus d’une fois un précis poétique confondant d’exactitude, couleurs, phrasés, conduites polyphoniques, accents, c’est toute la lettre et c’est tout l’esprit de Beethoven que ce double album saisit.
LE DISQUE DU JOUR
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Sonate pour piano No. 16 en sol majeur, Op. 31 No. 1
Sonate pour piano No. 17 en ré mineur, Op. 31 No. 2
« La Tempête »
Sonate pour piano No. 18 en mi bémol majeur, Op. 31 No. 3
6 Variations sur un theme original en fa majeur, Op. 34
15 Variations et Fugue sur un theme original en mi bémol majeur, Op. 35 « Eroica »
Andreas Staier, pianoforte
Un album de 2 CD du label harmonia mundi HMM 9023272B
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Photo à la une : le pianofortiste Andreas Staier – Photo : © Didier Taberlet