Jacques Ibert cache des perles dans les replis de son catalogue, Anna Reinhold y a débusqué les deux stèles qu’il a choisies dans le recueil célèbre de Victor Segalen, enlaçant la voix de mezzo claire et le traverso. L’alliage est magique par sa fluidité nerveuse, son sens de la prosodie évocatrice et du commentaire percutant (de l’une sur l’autre et versa), le suave et le piquant, le sensuel et l’âcre si mêlant.
Anna Reinhold, tout au long de ce disque magique où brillent des gemmes inattendus que la mélodie française enfanta au XXe siècle, est admirable, diseuse autant que chanteuse, son mezzo sait s’envoler, rêver, caractériser ; voix timbrée, juste assez profonde pour être encore lumineuse, parfaitement accordée à la flûte impertinente et tentatrice d’Alexis Kossenko, vrai faune.
Les Odelettes anacréontiques de Maurice Emmanuel sont dites avec des émotions précises, les deux Caplet baudelairiens de ton même si les vers en sont pris chez Hugo ou Tagore, Le Nénuphar de Koechlin, les deux Soir Païen, celui de Hüe comme celui de Gaubert, qui auront tout deux été inspirés par le subtil poème d’Albert Samain dont le panthéisme sensuel enveloppe tout l’album, sont simplement des merveilles ciselées dans les timbres d’un merveilleuse flûte historique signée par Louis Lot aux registres d’automne, aux sons fauves ; une deuxième, soufflée par Magali Mosnier s’ajoute pour la rare Sonate de Koechlin.
Deux opus particulièrement émouvants : l’Hommage à Roussel que Maurice Delage, ravélien parmi les ravéliens, égrène dans un récit où il retrouve à la fois l’atmosphère de Joueurs de flûte et son imaginaire hindou, et la scène de La Flûte de Pan (Syrinx) où Debussy préfère au chant la diction, L’Oreade de Marine Thoreau La Salle répondant brièvement à la Naïade de la mezzo.
Invitée discrète, Sabine Devieilhe savoure les Deux Poèmes de Ronsard que Roussel a caressés de notes. Ensemble unique, qui célèbre la quintessence d’un certain esprit français.
LE DISQUE DU JOUR
Philippe Gaubert (1879-1941)
Soir Païen
Jacques Ibert (1890-1962)
Deux stèles orientées
André Caplet (1878-1925)
Viens! Une flûte invisible soupire
Écoute, mon cœur (No. 1, extrait de « Corbeille de fruits »)
Maurice Emmanuel (1862-1938)
Trois odelettes anacréontiques, Op. 13
Maurice Ravel (1875-1937)
La flûte enchantée (No. 2, extrait de « Shéhérazade, M. 41 »)
Charles Koechlin (1867-1950)
Sonate pour deux flûtes, Op. 75**
Le nénuphar (No. 3, extrait des « Poèmes d’automne, Op. 13 »)
Albert Roussel (1869-1937)
Deux poèmes de Ronsard, Op. 26*
Les Joueurs de flûte, Op. 27
Maurice Delage (1879-1961)
Hommage à Roussel, Op. 19
Claude Debussy (1862-1918)
La Flûte de Pan (Syrinx, L. 129)***
Georges Hüe (1858-1948)
Soir païen (No. 4, extrait des « Chansons lointaines »)
Alexis Kossenko, flûte
Anna Reinhold, mezzo-soprano
Emmanuel Olivier, piano
*Sabine Devieilhe, soprano
**Magali Mosnier, flûte
***Marine Thoreau La Salle, narrateur
Un album du label Aparté AP227
Acheter l’album sur le site du label Aparté ou sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com
Photo à la une : © DR