La Vienne nouvelle pourrait se résumer dans les toiles gorgées d’or de Klimt, la plupart des lieder que Camilla Tilling vient ambrer de son timbre de grand soprano lyrique – les années lui ont donné cette patine où le medium lui-même prend des reflets – sont l’écho sonore de ces irisations, les Korngold qui ouvrent l’album s’en affirment l’emblème, harmonies complexes mais sensuelles qu’elle emporte dans les arabesques de sa voix, embaumés par le piano miroitant de Paul Rivinius.
Zemlinsky y ajoutera l’ivresse à peine dangereuse de ses Wälzer-Gesange, œuvre d’un jeune homme tout entier voué à cette Vienne décadente.
Belle idée de les faire suivre de l’Opus 2 que Schönberg écrit en même temps, qui regarde tout à fait ailleurs déjà, cherchant dans le récit autre chose que le chant pur : le premier lied, Erwartung, est prémonitoire, et pas seulement par son titre.
Deux grands cycles sont les points d’équilibre d’un album si finement composé. La soprano entre sur les points de sa voix dans les oniriques Sieben frühe Lieder d’Alban Berg, savoure jusqu’au bout de leurs envolées lyriques les mystères de mots et de notes qui forme un kaléidoscope d’émotions, et miracle !, le piano versicolore de Paul Rivinius ne fait pas regretter l’orchestre.
Dans un programme si viennois, une brassée de lieder de Josef Marx aurait suffit à faire pencher la balance du côté du monde d’hier, mais Camilla Tilling préfère revenir à Gustav Mahler, replaçant l’axe dans un certaine expressionisme dont Schönberg et ses amis feront leur miel, osant les Rückert-Lieder auxquels, sur le papier, sa voix semblait étrangère, du moins pour Um Mitternacht.
Elle lui donne à force d’art toute la profondeur désespérée que les voix plus sombres y convoquent simplement par leur timbre. Les trois Lieder heureux lui vont comme un gant, mais le plus étonnant du recueil, et de tout le disque, reste un étreignant Ich bin der Welt abhanden gekommen où le violon de Nicola Birkhan vient contre-chanter.
LE DISQUE DU JOUR
Erich Wolfgang Korngold (1897-1957)
Einfache Lieder, Op. 9
(4 extraits : Nos. 1, 3, 4 & 6)
5 Lieder, Op. 38
(extrait : I. Glückwunsch)
Alban Berg (1885-1935)
Sieben Frühe Lieder
(version pour voix et piano)
Alexander von Zemlinsky (1871-1942)
6 Walzer-Gesänge, Op. 6
Arnold Schönberg (1874-1951)
4 Lieder, Op. 2
Gustav Mahler (1860-1911)
Rückert Lieder (version pour voix et piano)
Camilla Tilling, soprano
Nicola Birkhan, violon
Paul Rivinius, piano
Un album du label BIS Records 2414
Acheter l’album sur le site du label BIS Records ou sur Amazon.fr – Télécharger ou écouter l’album en haute-définition sur Qobuz.com
Photo à la une : la soprano Camilla Tilling – Photo : © Camilla Tilling