Freddy Kempf ne fait rien comme personne, voyez un peu, dans son premier disque Prokofiev, il refusait au Deuxième Concerto ses paroxysmes jouissifs, préférant y traquer un lyrisme têtu, voyant ce concerto manifeste à l’envers de ce qu’il prétend être : un adieu au Romantisme, mais romantique en diable, et jusqu’à l’échevelé de la cadence, à l’épointé du Scherzo.
Sa grand technique où jamais le son n’est frappé, la profusion de son jeu de timbres, la clarté de son intellect se mesurent sans trembler aux ultimes Sonates que Prokofiev écrivit avec en tête les piano-mondes d’Emil Gilels puis de Sviatoslav Richter. Ecoutez un peu comme Freddy Kempf fait rouler l’immense ressac qui engloutit l’épisode central de l’Andante (faussement) dolce de la Huitième Sonate, et la façon dont le retour de la cantilène s’y noue, cette violence profonde du son, puis cet allégement, si ce n’est pas d’un artiste !
La 9e Sonate est certainement la plus insaisissable, ne serait-elle pas un portrait de Richter avec ses nombreux souvenirs de Bach, son goût façon rébus pour les labyrinthes harmoniques, sa constante poésie ironique, sa distanciation ?
Une œuvre si complexe, tissée de sous-entendus, emplie de questions sans réponses, enchaînant les motifs brefs, trouvent en Kempf un interprète éclairé, tout semble soudain d’une logique fluide jusqu’au plus bizarre. A rebours, je comprends mieux pourquoi il aura placé en prélude à son album l’aventureuse Troisième Sonate, précipité fantasque où son art de suggérer s’emploie avec une science pianistique admirable.
Car il faut que je le redise, l’écrive à nouveau, le piano de Freddy Kempf est l’un des plus beaux de nos jours.
LE DISQUE DU JOUR
Sergei Prokofiev (1891-1953)
Sonate pour piano No. 3 en la mineur, Op. 28
Sonate pour piano No. 8 en si bémol majeur, Op. 84
Sonate pour piano No. 9 en ut majeur, Op. 103
Freddy Kempf, piano
Un album du label BIS Records 2390
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Photo à la une : le pianiste Freddy Kempf – Photo : © DR