L’Allegro du Concerto en ut mineur aura-t-il jamais dansé à ce point, vrai gigue que les deux claviers gymnastes d’Olivier Fortin et d’Emmanuel Frankenberg envolent sur les cinq archets rugissants menés grand train par Sophie Gent ?

Ce feu d’artifices éclate dans une abondance de couleurs posées sur des basses intenses, comme de l’or se détache à plein sur le noir le plus sombre, et emporte les Allegros d’un seul trait, le discours suractif de Bach qui percute plus encore l’auditeur dans le petit ensemble que les habitués du Café Zimmermann pouvaient goûter, étant serré dans cette exultation des rythmes, dans le plaisir si physique d’un jeu athlétique où le geste se magnifie par l’ardeur.

Le temps s’arrête, l’espace s’ouvre dans l’Adagio ovvero largo du Concerto en ut majeur, les deux clavecinistes y faisant chanter une merveilleuse mécanique où le souvenir du cantabile de Vivaldi paraît, et pourtant le tempo est soutenu, les phrasés enchevêtrés en un écheveau harmonique miroitant donnant cette impression d’immobilité dans le mouvement même qui est un des secrets de la poétique de Bach.

Et c’est l’orgue que les deux amis évoquent avec des symphonies de timbres éloquentes dans la rare transcription à deux clavecins du Prélude et Fugue BWV 552, mais un orgue enfin clair qui fait tout entendre des subtilités de l’écriture, des profusions de l’harmonie, qui expose tout ce que l’orgue peut dissimuler dans son énorme machine.

Après le précis drastique d’Aapo Häkkinen et de Pierre Hantaï que je fêtais ici, et en attendant l’entreprise de Francesco Corti avec il pomo d’oro – Pentatone a publié le premier volume de ce qui semble devoir devenir une intégrale –, les Concertos pour clavier de Bach sont heureux.

LE DISQUE DU JOUR

Johann Sebastian Bach (1685-1750)
Concerto pour deux clavecins, cordes et basse continue en ut mineur, BWV 1060
Concerto pour deux clavecins, cordes et basse continue en ut majeur, BWV 1061
Concerto pour deux clavecins, cordes et basse continue en ut mineur, BWV 1062
Prélude et Fugue en mi bémol majeur, BWV 552

Olivier Fortin, clavecin
Emmanuel Frankenberg, clavecin
Ensemble Masques

Un album du label Alpha Classics 572
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Photo à la une : © Alpha Classics