Sang Magyar

Le couplage est logique, mieux, imparable, le deuxième Quintette avec piano tragique, mystérieux, jusque dans la valse de son Intermezzo, œuvre d’un jeune homme que Brahms accueillit à bras ouverts mais avec étonnement, et le Sextuor, cette sérénade étrange qui roule des tempêtes et danse le tango, sont les deux opus de chambre les plus sombres qui soient coulées de la plume d’Ernő Dohnányi.

Le Sextuor reste dans ce domaine son chef-d’œuvre, l’emploi de la clarinette et du cor donnant à l’ensemble des effets réalistes dans la ballade nocturne fantasque qu’est l’Allegro appassionato, Thorsten Johanns faisant souffler des rafales de bises, Olivier Darbellay menaçant comme un cavalier d’apocalypse de son grand pavillon. Quelle œuvre !, que les Nash avaient gravée avec poésie, une lyrique brahmsienne, et dont les versions se comptent hélas sur les doigts d’une main.

Alexander Sitkovetsky et ses amis de l’Ensemble Raro l’entendent dans d’autres couleurs, rappelant que tout conservateur qu’on le suppose (et qu’il s’affirmait d’ailleurs, et pas seulement dans le seul domaine des arts), Dohnányi fut et le professeur de Bartók, et son contemporain. La marche amère, pleine de fifres et de trompes qui hérisse l’Intermezzo est moderne à sa façon, les instruments à vent inspirant à Dohnányi des harmonies âpres que les jeunes gens font éclater autour du piano diseur de Diana Ketler, l’Allegro con sentimento avec ses contrastes d’humeurs et ses citations ironiques de Beethoven déroule son cortège de masques, avant que le Finale ne persiffle son bal composite, passant du salon au cabaret, si vert, si vif ici.

Tiendrais-je enfin la version que j’espérais de cette œuvre hors cadres ? Oui, mais ne négligez pas non plus le Deuxième Quintette si émouvant où dans le sombre romantisme d’un jeune homme fasciné par Brahms, le piano de Diana Ketler met toute une poésie de notes, de timbres, comme la voix d’une mezzo.

Disque d’une sombre magie, que j’avais égaré, que le confinement m’a fait retrouver pour mon bonheur et pour le vôtre, je l’espère.

LE DISQUE DU JOUR

Ernő Dohnányi (1877-1960)
Quintette avec piano No. 2 en mi bémol mineur, Op. 26
Sextuor pour piano, violon, alto, violoncelle, clarinette et piano en ut majeur, Op. 37

Ensemble Raro

Un album du label Solo Musica SM 250
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Photo à la une : le compositeur Ernő Dohnányi – Photo : © DR