Au catalogue discographique des opus d’Alexander von Zemklinsky, Die Seejungfrau serait-elle en passe de supplanter la Symphonie lyrique ? Les chefs de la jeune génération se passionnent pour cette partition où le mystère le dispute à l’éclat, où Zemlinsky tord le cou à l’orchestre straussien en y faisant entrer et l’impressionnisme français et les tentations modernistes de ce qui allait devenir la nouvelle Ecole de Vienne.
Zemlinsky fut d’ailleurs injuste avec son chef-d’œuvre de jeunesse, il le retira de son catalogue, ne le mentionnant même plus, donnant le manuscrit du premier mouvement à une amie, Marie Pappenheim, n’emportant dans son exil aux Etats-Unis que les deux autres mouvements pour mieux les oublier au fond d’une valise.
L’œuvre attendra les années 1980 pour voir ses trois parties réunies par les efforts conjugués de plusieurs musicologues, ce sera le disque qui fera sa fortune, et plus encore depuis qu’Anthony Beaumont aura publié en 2013 son édition de la version originale : on découvrit alors un chef-d’œuvre à l’exact étiage du Pelleas und Melisande de Schoenberg. Thomas Dausgaard s’empara de l’œuvre (il l’enregistrera deux fois, sans y revenir pourtant depuis l’édition d’Anthony Beaumont), ouvrant la voix à James Judd, John Storgårds (qui signa le premier enregistrement de la version originale ), mais ce fut Cornelius Meister (CPO) qui en réalisa la gravure la plus saisissante le 28 mai 2010, s’en tenant à l’état de l’œuvre avant le travail de Beaumont.
Marc Albrecht lui offre aujourd’hui une réponse aussi éloquente avec une captation également en concert de la version Beaumont qui fait entendre toute la touffeur d’un orchestre saturé de couleurs sombres, enchevêtré de motifs mahlériens, aux crescendo tsunami dévastateurs.
Secret des réussites de ces deux versions : elles sont avant tout des narrations, Zemlinsky avait en effet pensé cette fantaisie orchestrale comme une pantomime virtuelle. Marc Albrecht, si versé dans les œuvres de la Seconde Ecole de Vienne fait entendre les audaces d’une partition soudain visionnaire là où Cornelius Meister, encore dépendant de la version non corrigée, celle que l’on joua à compter des années 1980 (Peter Gülke en fut le divulgateur), immergeait son orchestre dans un postromantisme plus univoque. Mais peu importe, Meister ou Albrecht mettent chacun à leur façon en lumière ce conte aux abysses aveuglants, la prise de son des ingénieurs de Pentatone donnant à ce dernier un certain avantage.
LE DISQUE DU JOUR
Alexander von Zemlinsky (1871-1942)
Die Seejungfrau (édition de la version originale dans l’appareil critique d’Anthony Beaumont)
Netherlands Philharmonic Orchestra
Marc Albrecht, direction
Un album du label Pentatone PTC5186740
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Photo à la une : © DR