La chance d’Herbert Blomstedt ? S’être vu proposé en 1975 la direction musicale de la Staatskapelle de Dresde, l’orchestre de Richard Strauss, de Fritz Busch, de Karl Böhm. Il fallait un certain cran pour accepter en cette période de guerre encore très froide un poste en RDA. Depuis le départ de Martin Turnovský, resté à peine une saison, l’orchestre se cherchait un chef qui put le faire renouer avec son destin.
Herbert Blomstedt s’était confortablement installé dans une activité hanséatique, Oslo, Stockholm, Copenhague, quelques concerts à Hambourg suffisaient à son bonheur, mais les autorités de Dresde avaient noté son tropisme pour le grand répertoire germanique, Brahms, Beethoven, Bruckner surtout. Chef et orchestre s’essayèrent et se plurent. Ils resteront liés dix ans, de fabuleuses version des 4e et 7e Symphonies de Bruckner, captées pour Denon, sacrant ces noces que d’aucuns auront crues improbables.
En 1977, Herbert Blomstedt enregistra à l’occasion de l’année Beethoven, la version originale de Fidelio, Leonore, EMI s’assurant sous licence la publication du coffret à l’Ouest. Stupeur, la critique ne tarit pas déloges, les ventes suivirent. Il y avait donc à Dresde un chef quasi inconnu, de plus non allemand, capable d’un tel prodige ? Pourtant cet « A l’Est, enfin du nouveau » n’aura pas suffi à EMI pour distribuer de l’autre côté du rideau de fer l’intégrale des symphonies que les mêmes engrangèrent patiemment entre 1975 et 1980 : je m’en faisais rapporter les microsillons Eterna au compte-gouttes par des amis qui allaient donner quelques concerts à Leipzig ou à Berlin.
Le temps du CD venu, la VEB licencia cette intégrale pure et fascinante à force de cette sombre lumière qui n’appartient qu’aux Dresdois, à des labels économiques qui en abimèrent les reliefs de granit, jusqu’à ce que Berlin Classics ne la réédite une première fois. Mais le son des microsillons Eterna n’y était pas encore.
2020 année Beethoven, et année maudite, mais dans cette débâcle virale, Berlin Classics, revenant aux bandes originales, aura sauvé cette intégrale parfaite, classique et aventureuse à la fois, qui fait tout entendre du génie de l’orchestre beethovénien, l’éditant dans un coffret artiste aux belles photographies, à la documentation précieuse. Commencez par l’Eroïca. Et puis aussi, comparez le cycle de Dresde avec celui de Leipzig (Accentus) : Blomstedt à son propre miroir.
LE DISQUE DU JOUR
Ludwig van Beethoven (1770-1827)
Les Symphonies (Intégrale)
No. 1 en do majeur, Op. 21
No. 2 en ré majeur, Op. 36
No. 3 en mi bémol majeur, Op. 55
« Eroica »
No. 4 en si bémol majeur, Op. 60
No. 5 en ut mineur, Op. 67
No. 6 en fa majeur, Op. 68
« Pastorale »
No. 7 en la majeur, Op. 92
No. 8 en fa majeur, Op. 93
No. 9 en ré mineur, Op. 125 « Chorale »
Helena Doese, soprano – Marga Schiml, mezzo-soprano – Peter Schreier, ténor – Theo Adam, basse – Chor der Staatsoper Dresden
Staatskapelle Dresden
Herbert Blomstedt, direction
Un coffret de 5 CD du label Berlin Classics 0301524BC
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Photo à la une : le chef d’orchestre Herbert Blomstedt – Photo : © DR